Serais-je un serial killer ? J’ai passé une partie de mon été à jouer du rasoir. Du rasoir d’Ockham, s’entend.
Comme d’autres collègues, le suivi des mémoires ou des thèses est une saine occupation d’été. Cette année, j’ai particulièrement affuté mon rasoir pour trancher dans le vif. Allez savoir pourquoi, les étudiants ne recherchent pas toujours la simplicité et la fluidité du raisonnement. A moins qu’ils n’y parviennent qu’après de longs détours ?
Généralement à la quinzième page, je ressens souvent une pulsion incontrôlable. Irrésistiblement, ma main s’empare du rasoir, et là… je deviens philosophe. Guillaume d’Ockham a énoncé au XIVème siècle le principe de simplicité, ou de parcimonie, qui se formule ainsi : « Pluralitas non est ponenda sine necessitate ». Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité. Une variante lui est attribuée : « Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem ». Les entités ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire.
Précieuse retenue du raisonnement… Plus une hypothèse est simple, plus elle est vraisemblable. Bien entendu, ce principe n’est pas d’une scientificité remarquable. J’ai déjà constaté que les sciences humaines et sociales reposaient sur une certaine complexité…

Je prends donc ce principe pour ce qu’il est : une approche pragmatique et opératoire de la construction des hypothèses. Ce qui me motive, c’est de faire éviter la multiplication inutile et brouillonne des notions, concepts et théories à l’intérieur des problématiques. La force de la démonstration logique est détruite par la collection de concepts juxtaposés paragraphe après paragraphe. Le rasoir d’Ockham devient une arme de destruction massive dans certains mémoires…
Il est difficile pour les étudiants (et pour nous, et pour moi…) de dégager clairement l’hypothèse la plus simple parmi toutes celles qui se présentent. Les étudiants boulimiques de lecture sont d’ailleurs les plus en danger : ils ont tellement envie de nous faire partager leurs lectures d’été.
Le rasoir d’Ockham est une arme puissante mais qui tranche à l’aveugle. Comment définir l’hypothèse « la plus simple » ? Quels sont les critères de la simplicité ? Nous avons à peine conscience d’un biais cognitif qui nous fait croire que le plus simple se trouve toujours sous nos yeux, ça se corse avec notre tendance naturelle à tout compliquer. Les ingénieurs savent la quantité de travail pour faire simple et élégant et rejeter la première solution, toujours la plus compliquée.
Drôle de métier que celui d’étudiant : il faut ignorer ce qui se présente spontanément au nom de visions du monde préconstruites et cheminer longtemps pour dégager la simplicité de sa gangue de complications. Dans ma pratique d’accompagnateur de mémoire, je suis sur le fil du rasoir. Je veux faciliter la simplicité et échapper au simplisme. Je veux faire rejeter le superflu mais je cherche des explications à la hauteur de la complexité des questions explorées.
J’ai besoin d’une théorie solide pour « sauver les apparences » comme disait Platon.