Des universitaires prêts à revoir leur conception de la compétence

 Merci à Promosciences de m’avoir invité à ouvrir le colloque.

Colloque Promosciences. Nantes, 2012.
http://spiral.univ-lyon1.fr/files_m/M7098/Files/896871_277.pdf

Les compétences transversales. Formaliser l’informel ?
Marc Nagels

Compétences transversales et apprentissage non formel
La conférence prend appui sur l’arrêté du premier août 2011 relatif à la licence et commence par apporter quelques repères sur la compétence, notamment pour interroger les compétences transversales comme des compétences particulières et distinctes. Représentent-elles vraiment une classe de compétences tout à fait spécifique ?
Les compétences transversales font l’objet depuis plusieurs années d’un discours social très prescriptif. Traditionnellement, en formation professionnelle, le savoir, d’origine disciplinaire, est mis en relation avec la compétence, celle-ci étant orientée vers l’action. Les compétences transversales qui, étymologiquement, sont « disposées en travers », viennent s’insérer dans l’espace ouvert entre le savoir et la compétence professionnelle. La notion de compétence transversale met alors surtout l’accent sur l’apprenant et ses qualités personnelles.
Nous pourrions analyser l’intérêt rencontré par cette notion comme la marque d’un certain retour au découpage ancien entre savoir, savoir-faire et savoir être. Nous mettrons plutôt en perspective trois catégories différentes d’apprentissage : l’apprentissage formel des savoirs, l’apprentissage professionnel informel qui vient donner corps à la notion de compétence professionnelle, et enfin l’apprentissage non formel du savoir être.
Il est possible d’analyser ces trois types d’apprentissage selon leurs finalités de validation ou de satisfaction au travail, mais nous pouvons également examiner les contextes. Alors qu’il est structuré et organisé pour l’apprentissage formel, le contexte des apprentissages professionnels informels se
rencontre en dehors du temps de formation institué. Quant aux contextes de formation des apprentissages non formels, ils sont émergents et imprévus.
Les stratégies pédagogiques sont aussi diverses. L’apprentissage formel nous renvoie à des apprentissages explicites guidés par une ingénierie pédagogique. Les apprentissages informels supposent l’acquisition de connaissances ou d’habilités durables, ou encore d’habitudes professionnelles.

 

Il est intéressant de constater que ce qui est habituellement l’objet d’apprentissages non formels désignent des apprentissages qui ne sont pas directement orientés vers la production immédiate ou vers la performance, même si ces apprentissages non formels permettent de construire des connaissances ou des outils, matériels ou symboliques. Il est également remarquable que l’apprentissage non formel n’est pas toujours directement utilisable en situation. L’usage peut en être différé dans le temps. Ces apprentissages non formels ne concourent pas directement à l’atteinte de la tâche mais ils y participent indirectement en favorisant l’expression des compétences nécessaires. Ils facilitent la manifestation de la performance. Ce niveau des apprentissages non formels est donc intéressant à observer lorsque nous évoquons les compétences dites transversales. Ces apprentissages non formels apparaissent comme la condition d’acquisition des compétences transversales.
Ce que l’on désigne habituellement avec le vocable de compétences transversales, relationnelles, informationnelles, ou sociales, résiste assez bien aux tentatives de formalisation de l’ingénierie pédagogique. Si nous voulons les formaliser, si nous cherchons à en faire un objet d’ingénierie, nous risquons de les vider de leurs sens et de les sortir de leur contexte d’apprentissage. Vouloir les soumettre à des contextes trop formels reviendrait à ne pas laisser ces compétences transversales se structurer dans les contextes émergents dont ils dépendent.
Les compétences transversales mettent en jeu un certain nombre d’activités métafonctionnelles, construites dans l’expérience et surtout par le débriefing. Lorsque des tentatives de formalisation voient le jour, citons le cas des compétences informationnelles en Suisse et au Québec, nous observons le caractère très normatif de ces discours sur la compétence. Ces compétences deviennent autant de normes dont nous pourrions déduire des indicateurs nécessaires et suffisants pour l’évaluation des performances. La compétence se confond alors avec la tâche prescrite.

Quelques repères sur la compétence
Il est parfois difficile de saisir l’essence même des compétences transversales, mais ne seraient-elles, après tout, que des compétences comme les autres ? Pour en décider, nous devons revenir à quelques repères théoriques sur la compétence.
Le sociologue Lichtenberger, en 1999, indiquait que la compétence représente « un surcroit d’exigence vis-à-vis du salarié ». En effet, le salarié doit répondre aux insuffisances du travail prescrit et s’adapter sans cesse à la variété des contextes professionnels dans lesquels il s’inscrit. Face à ce construit complexe de la compétence, trois grandes théories ont cherché à l’expliquer.
L’approche behavioriste s’est essentiellement centrée sur le rapport à la tâche prescrite.
L’approche par la psychologie cognitive a plutôt tentée d’éclairer l’activité du sujet. Chaque sujet dispose, en tant que produit de son expérience, d’une organisation cognitive de l’activité qui lui permet de répondre plus ou moins efficacement aux exigences de la tâche.
La troisième approche, sociocognitive, met l’accent sur l’interaction entre le sujet, son activité et l’environnement. Cette approche rend compte, le plus largement, de la phénoménologie de la compétence.

Une ingénierie de la compétence
La formation qui vise le développement des compétences, et des compétences transversales parmi elles, requiert la fabrication de situations pédagogiques de mise en activité. En effet, nous savons que les compétences s’acquièrent par et dans l’activité. Ainsi, les enseignants sont amenés à sélectionner un certain nombre de situations critiques, de situations professionnelles de référence. Ces situations sont centrées sur un problème professionnel à résoudre.
La situation, une fois sélectionnée pour son caractère critique et emblématique de l’exercice professionnel, va faire l’objet d’une transposition didactique. Il s’agit de se focaliser sur le problème à résoudre en créant un milieu d’apprentissage ad hoc. La mise en activité qui en résulte propose aux étudiants de résoudre le problème professionnel, seuls ou en groupes. La plupart du temps, ce problème est prototypique, mais lorsque le milieu d’apprentissage a été conçu avec un minimum d’interactivité possible entre l’étudiant, son milieu d’apprentissage et son activité, alors les enseignants peuvent faire varier les conditions internes ou externes de l’activité de résolution de problème. Ils proposent alors de résoudre des problèmes professionnels de plus en plus atypiques. Acquérir des compétences transversales fait toujours l’objet d’une progression pédagogique individualisée.
Cette mise en activité ne remplirait pas tout à fait son rôle formatif, si elle n’était accompagnée d’un débriefing. Ce débriefing est une opportunité pour les étudiants de poursuivre leur effort de conceptualisation de leur activité. Un étudiant voit sa compétence augmenter, dès lors qu’il est capable de prendre conscience de son action, d’y réfléchir, d’en tirer les enseignements pour une action efficace, de modéliser les règles de l’efficacité professionnelle.
Développer les compétences, c’est former par et dans l’activité. Mais c’est aussi, par et dans l’activité, que nous trouvons des occasions d’évaluation du développement des compétences. Là encore, le débriefing, qui suit plus ou moins rapidement la mise en activité, permet de comparer, puis de valoriser, la conceptualisation dans l’action avec les savoir-faire attendus par la profession.
Nous pouvons ainsi jeter les bases d’une ingénierie de la compétence et du développement des compétences transversales. Il s’agit tout d’abord d’identifier les savoirs pragmatiques qui sont contenus dans les situations professionnelles de référence. Les savoirs académiques sont aussi repérés à l’intérieur d’un modèle théorique existant. La nécessité d’acquérir les savoirs pragmatiques
et les savoirs académiques déterminent les apprentissages-cibles. Les objectifs pédagogiques s’intéressent en fait aux différents paramètres du problème à résoudre.
Cette pédagogie de l’apprentissage par l’activité suppose de définir soigneusement les situations d’apprentissages. Ces « milieux d’apprentissage », au sens de la didactique des disciplines, sont construits pour collecter des données sur l’activité de l’étudiant lorsqu’ils résolvent le problème posé. De ce point de vue, l’usage d’un simulateur est utile. Il permet de tracer l’activité de l’étudiant et de garder en mémoire les paramètres de la situation et de son évolution. Un simulateur pleine échelle n’est pas systématiquement nécessaire : des petits simulateurs « papier-crayon » ou par jeux de rôles suffisent la plupart du temps.
La construction d’un milieu d’apprentissage rend possible l’évaluation grâce à une batterie de critères et d’indicateurs. L’enjeu de l’évaluation porte sur la résolution effective du problème mais surtout sur les stratégies cognitives mobilisées par l’étudiant. De quelle manière a-t-il été capable de résoudre ce problème ? L’explicitation des objectifs d’apprentissage, portant soit sur les savoirs pragmatiques et / ou sur les savoirs académiques, représente la condition de la validation des savoirs pragmatiques ou des savoirs plus théoriques.

L’auto-efficacité des apprenants
Les enseignants disposent d’un levier d’action pédagogique essentiel. Dès lors que nous évoquons la question des compétences transversales, non formelles par définition, il nous faut compter sur les facteurs psychologiques qui permettront aux étudiants de triompher des difficultés. Ce facteur psychologique est celui de l’auto-efficacité. L’auto-efficacité, ou sentiment d’efficacité personnelle, se définit comme le système de croyances qu’un sujet développe sur sa capacité d’atteindre ses objectifs.
Pour réussir, non seulement un professionnel doit disposer des aptitudes nécessaires à la réalisation des tâches, mais il doit encore mobiliser ses croyances d’efficacité personnelle pour mettre en œuvre ses aptitudes. L’auto-efficacité est un facteur prédictif très intéressant des comportements professionnels. Une auto-efficacité élevée suppose qu’un étudiant se sente capable de relever des défis, qu’il se fixe des buts stimulants et qu’il aura le sentiment de contrôler les situations difficiles. De plus, il disposera de plus grandes ressources pour rebondir après un échec.

L’intérêt de cette variable psychologique est son caractère éducable. Il existe un certain nombre de procédés qui permettent, en situation d’enseignement ou de formation, de la renforcer. La principale source de construction de l’auto-efficacité réside dans le vécu d’expériences de maitrise et de réussite. Si un enseignant parvient à placer un étudiant dans une situation qui présente un vrai défi mais qu’il peut réussir, alors l’étudiant verra augmenter son auto-efficacité. Il sera prêt, la prochaine fois, à affronter un niveau de difficulté supplémentaire. L’auto-efficacité représente ainsi une ressource personnelle pour se confronter à l’incertitude des processus d’acquisition des compétences transversales.

En conclusion
Les enseignants considèrent parfois l’approche par les compétences comme une sorte de révolution copernicienne, vécue comme coûteuse en temps et en ressources sociales et cognitives. Le passage du paradigme « enseigner » au paradigme « apprendre » suppose, certes, du temps et de l’énergie des équipes enseignantes mais améliore considérablement la qualité des prestations pédagogiques. Les étudiants sont mieux préparés face aux difficultés du monde du travail, ils disposent d’un niveau d’auto-efficacité supérieur.
La qualité des prestations pédagogiques augmente lorsqu’il devient possible d’articuler un dispositif de formation ouverte et orienté vers l’approche par les compétences avec des dispositions des étudiants, favorables à l’autodirection des apprentissages.
Sur ces deux plans, les enseignants peuvent avoir une action organisationnelle et pédagogique déterminante.

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