Ce blog accueille une nouvelle contribution invitée. Cette fois, la parole est donnée à une infirmière scolaire très concernée par « l’enracinement d’un processus de professionnalisation autour de l’éducation à la santé ». Les notions de rôle propre, de savoir infirmier, de développement professionnel sont au cœur de son travail de recherche. Le billet qui suit est signée par Anne-France Hardy. Elle y résume la recherche soutenue le mois dernier pour l’obtention du master en sciences de l’éducation « Éducation, Apprentissage, Didactique ».
Cette contribution est à lire dans la perspective de l’émergence des sciences infirmières en France. Quelle posture professionnelle et épistémique convient-il d’adopter pour favoriser cette émergence ? Quelle nécessité éthique, aux confluents des métiers du soin et de la relation, favorisera t-elle une pensée distanciée et critique des professionnels sur leurs trajectoires ? Comment la compréhension du rôle propre peut-elle représenter un facteur de professionnalisation ? A moins qu’il ne soit une contrainte enfermante ? Les infirmiers, et pas seulement les infirmiers exerçant en milieu scolaire, pourront-ils saisir le bon moment, celui du « juste à temps » argumentatif pour faire valoir leur développent professionnel ? Et pour quelle reconnaissance sociale ?
Développement du rôle propre infirmier et promotion de la santé
Anne-France Hardy
Les infirmières exerçant en milieu scolaire apprennent à redéfinir les contours de leur rôle propre mais peinent à repérer le déploiement d’un savoir se référant aux activités de promotion de la santé inscrites dans le prendre soin. Toujours perçues comme auxiliaires médicales, leur champ d’activité vise principalement le soin des maladies et la réduction des facteurs de risques issus des sciences biomédicales. Le changement radical des pratiques professionnelles acquises en formation initiale induit des tensions identitaires et la définition d’une nouvelle professionnalité articulée autour de compétences spécifiques (Berger et al., 2009). Mais la particularité de ce rôle propre évalué en termes de médiation et de service rendu (Nadot, 2002,2005) semble difficile à reconnaître de la part les infirmières elles-mêmes. Faiblement valorisée, l’activité suscite peu de reconnaissance. Quel crédit accorde t’on au savoir infirmier ? Quel est en santé scolaire le rôle de ce soignant-éducateur ?
Cette enquête a tenté d’identifier le développement et la spécificité de ce rôle propre laissé à l’initiative de l’infirmière.
Le postulat compréhensif de la recherche a privilégié l’approche d’une méthodologie qualitative. Trente (n=30) infirmières volontaires y ont participé. Les témoignages recueillis sous deux modalités associent l’entretien au récit d’expérience rédigé sous la forme d’un écrit réflexif.
Analysé à la fois dans ces dimensions développementales et professionnalisantes, le développement de ce rôle nous éclaire ici en trois points.
D’abord assimilé à celui d’une posture (Lameul, 2006) ce rôle propre reste difficile à définir. Chacun l’invente en fonction du lieu d’exercice, de sa personnalité, de ses valeurs et de ses représentations. Les infirmières le décrivent en termes d’accompagnement, d’orientation et de relation d’aide.
Le second point interroge l’enracinement d’un processus de professionnalisation autour de l’éducation à la santé. S’opposant aux valeurs d’une prise en charge globale de l’individu, les infirmières questionnent les orientations prescrites de santé publique éloignées de leur activité quotidienne. Elles émettent des doutes autour des thèmes classiques d’interventions préconisées qui semblent exclure la compréhension et l’origine tant psychosociale qu’environnementale des comportements de santé (Lecorps, 2012).
Enfin de nombreuses questions sont soulevées sur l’ambiguïté du terme même de promotion de la santé que les infirmières ont du mal à comprendre et qu’elles comparent souvent à un slogan. Ce dernier leur semble dissonant lorsqu’elles côtoient sur le terrain les situations de violence, d’isolement, d’exclusion, de mal être et qu’elles observent que l’école peut aller à l’encontre des valeurs qu’elle prétend défendre. L’absence de consensus autour de la définition même de la santé, génère une grande variété de représentations abandonnées souvent aux idéologies dominantes (Jourdan, 2005 ; Descarpentries, 2008 ; Klein, 2010 ; Guiet-Silvain, 2011). De ce fait la voix du référent santé est difficile à faire entendre et mal identifiée par les professionnelles elles-mêmes. N’ayant jamais appris à objectiver les dimensions psychosociales de ce rôle les infirmières dénient la notion de savoir infirmier (Poisson, 2008).
Bien que le rôle propre ait plus de 30 ans, les conclusions de ce travail indiquent que la valorisation des pratiques autonomes reste encore à conquérir (Debout, 2005). Si les infirmières ont aujourd’hui le défi de s’approprier ce rôle propre autonome et la fonction indépendante de leur profession centrée sur la promotion de la santé (Piguet, 2008), la professionnalisation de ce côté semble inaboutie. Bien que les réformes successives tentent de promouvoir un nouveau modèle, l’unique façon de s’en sortir sera de démontrer que ces compétences existent et qu’elles constituent une plus-value. Mais seule les exigences de l’écriture permettront de transformer l’expérience en savoir. C’est pour cela que la recherche en soins infirmiers est une opportunité et une voie vers la reconnaissance…. et ça, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Références bibliographiques
Berger, D., Mabrouk, N. & Courty, P. (2009). Infirmiers scolaires : représentations et pratiques d’éducation à la santé. Santé publique 2009, 6,641-657.
Debout, C. (2005). La profession infirmière en France : du projet médical à l’émergence d’un projet disciplinaire infirmier. Soins, 700.
Descarpentries, J. (2008). Essai de Conceptualisation de l’intervention éducative en santé publique. Promotion & Education n°1, 14-16.
Gaussel, M. (2012). Vers une école saine, éducation à la santé, volet 2. Dossier d’actualité veille et analyse. Institut Français de l’Education, n° 77.
Guiet-Silvain, J. (2011). Education à la santé en milieu scolaire, mise en perspective historique et internationale. Carrefours de l’éducation, 32
Jourdan, D. (2005). Education à la santé à l’école : Le temps de l’action
Klein, A. (2010). Education en santé au secours des sciences de l’éducation : prémisses à un essai d’épistémologie croisée.
Lameul, G. (2006). Former des enseignants à distance? Etude des effets de la médiatisation de la relation pédagogique sur la construction des postures professionnelles, thèse pour le doctorat de sciences de l’éducation. Nanterre : Université de Paris-X-Nanterre.
Lecorps, P. (2012). Les conditions « du vivre ». La Santé de l’Homme, 420, 56 Hors-série.
Nadot, M. (2002). Médiologie de la santé. De la tradition soignante à l’identité de la discipline. Perspective soignante, n°13. Paris : Seli Arslan
Nadot, M. (2005). Au commencement était « le prendre soin ». Soins, 700, 37-40.
Piguet, C. (2008). Autonomie dans les pratiques infirmières hospitalières : contribution à une théorie agentique du développement professionnel. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation.
Poisson, M. (2008). Les soins infirmiers en France aujourd’hui : problèmes et perspectives. Le pansement et la pensée : splendeurs et misères du rôle propre. Recherche en soins infirmiers, 93, 56-60.
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