Le développement professionnel continu (DPC) est un nouveau dispositif destiné à promouvoir et réguler la formation des médecins et des paramédicaux. Tous les ans, il faudra « faire son DPC » désormais. La Fédération nationale des infirmiers (FNI), infirmiers installés en libéral, a voulu consacrer son premier numéro de FNI TV à la mise en place du DPC. Invité à participer au direct, j’ai évoqué quelques pistes sur la question absolument centrale de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) : les EPP dans le DPC… Ce billet retrace l’essentiel de mes propos.
Le DPC prend la suite d’un dispositif déjà en place sur ces mêmes questions. Comme souvent lorsque certains s’ingénient à ne pas satisfaire leurs obligations, un dispositif se met en place mais il contraindra tout le monde… C’est ce que les québécois désignent communément par l’expression « sortir le 12 pour écraser les mouches ». Pour cause de quelques mouches françaises, voici donc le 12 du DPC. Espérons qu’il aura le gout du miel parce que c’est bien connu qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre…
Donc, saluons l’arrivée d’un nouveau dispositif, un de plus et tout aussi obligatoire que les autres. Pourtant celui-ci présente quelques caractéristiques utiles. Il vise à renforcer une culture de la qualité et, mieux encore, il s’oriente vers l’amélioration continue de la qualité. Deuxième caractéristique intéressante, il met l’accent sur l’évaluation des pratiques. C’est un dispositif ambitieux d’autant que j’entends très clairement ici le mot d’évaluation sous l’angle de l’auto-évaluation des pratiques. Je m’en réjouis puisque j’y vois un facteur vertueux de changement et d’amélioration.
« Je n’ai rien à dire sur mes pratiques »
C’est certain, évaluer les pratiques professionnelles, même du point de vue de l’auto-évaluation, n’est pas si simple, ni à concevoir, ni à réaliser. Souvent, j’ai entendu les paramédicaux avec lesquels j’entamais des analyses de leur activité me dire que ce n’était pas un objet digne d’attention. Il n’y a rien à dire sur les pratiques parce qu’elles sont trop évidentes, trop banales, trop quotidiennes, pas assez compréhensibles : « J’ai toujours fait comme ça ». Précisément, comprendre ce qui signifie « faire à la manière de… » me remplit d’une curiosité insatiable. Comprendre le travail à travers sa réalité quotidienne faite de menus ajustements et de savoir-faire discrets représente un obstacle difficile à surmonter et, donc, un attrait jamais démenti. Le travail, l’activité professionnelle, est finalement trop peu présente à la conscience pour qu’on en tire satisfaction. La routine produit un effet de masquage qu’il est néanmoins possible de dépasser dans certaines conditions. Les pratiques peuvent devenir un objet de connaissance, de réflexion, de contentement. D’ailleurs la connaissance intime de son activité professionnelle, une fois la routine débusquée, est un facteur d’engagement dans le travail. Gageons que le DPC souhaite bien un engagement et une qualité des prestations au service des patients.
Bien entendu, l’engagement au travail ne se résume pas à la prise de conscience de ses savoir-faire. Il est nécessaire de partager avec ses collègues le sens du service rendu et un sentiment d’appartenance à son métier toujours très valorisé par la population. Au plan cognitif, l’engagement se nourrit d’une évaluation de ses habiletés à résoudre des problèmes professionnels complexes et évolutifs. Le diagnostic de ses compétences ouvre des perspectives et rend palpable des besoins, sinon des envies, de formation et de développement. Nous voyons apparaitre une problématique biface de la formation, celle où le dispositif de formation devrait rencontrer des dispositions à apprendre. Le dispositif et l’apprenant ne feront chacun que 50 % du chemin. Le meilleur dispositif ne pourra palier l’absence de motivation et de ressources. De même, un apprenant motivé et auto-efficace ne saura mettre un dispositif à sa main que s’il offre a minima quelques libertés de choix aux apprenants. Le DPC rendant obligatoire l’évaluation des pratiques professionnelles a au moins la sagesse de ne pas contraindre tous les choix et n’oblige pas à une méthode unique, valable pour tous et partout, d’évaluation des pratiques. Il jouera son rôle dès lors qu’il se mettra au service des infirmiers et de leur pensée réflexive en orientant vers des pratiques de qualité. Ensuite, c’est aux infirmiers de poursuivre leur route.
Un autre obstacle est d’ordre méthodologique. 80 % du travail s’exécute sans y penser, sans réfléchir outre mesure. Lorsque le travail ordinaire produit les résultats attendus, la réflexion n’est pas poussée plus loin. La routine présente tout de même quelques avantages en termes d’économie cognitive. Mais, comment saisir ce qui échappe à la conscience et à notre connaissance ? Comment évaluer ce que nous ne percevons pas dans le détail ? Comment améliorer les pratiques si nous ne les connaissons pas ?
La routine va encore jouer son rôle pour une part des 20 %du travail qui nécessite de s’adapter à des situations inédites ou plus complexes. Notre capacité à nous adapter est sollicitée régulièrement, nous ne travaillons jamais à l’identique. Même dans le cas du travail posté, les premiers écarts se produisent très rapidement, en moins de trois minutes, semble t-il. Alors que penser du travail soignant aux situations imprévisibles et à fort enjeu humain ? Nous nous adaptons parce que l’organisation cognitive de notre activité repose sur des schèmes qui intègrent les ajustements à réaliser, au moins dans une certaine limite. Nous n’en avons pas toujours conscience et, particulièrement, nous ne connaissons pas la diversité des ressources inermes et externes que nous utilisons pour réagir et modifier notre comportement au travail. Nous pourrions mieux contrôler nos comportements, les rendre plus efficaces si nous savions ce qui les guide. Nous commettrions moins d’erreur si nous savions comment nous organiser pour résoudre les problèmes qui s’offrent à nous. De ce point de vue, l’évaluation des pratiques professionnelles pose un véritable défi à notre entendement, celui de connaitre les sources de nos comportements, avant de pouvoir évaluer leurs résultats.
Le DPC représente au fond une opportunité, celle d’en savoir plus sur nous-mêmes et sur les pratiques des autres. Il sera temps ensuite de décider de changer ou non. Le DPC jouera pleinement son rôle si les infirmiers peuvent solliciter des ressources extérieures à eux -mêmes, hors de leur groupe professionnel parfois pour les accompagner et stimuler leur pensée réflexive et évaluative.
Les conditions de réussite de son EPP
L’enjeu est d’importance, à la mesure de la forte utilité sociale de la qualité des soins et du sentiment de bien-être au travail généré par le sentiment de compétence. Du point de vue du métier, c’est également une occasion de renforcer l’autonomie dans le cadre du rôle propre mais aussi de créer les conditions d’une coopération interprofessionnelle efficace.
Au titre des activités de 17 Mars Conseil, nous avons pu anticiper sur l’évaluation des pratiques professionnelles, par exemple : une action de plusieurs mois avec une équipe de PMI visant à mieux comprendre les priorités du travail auprès des familles et des enfants, de nombreuses interventions auprès d’équipes de cadres de santé formateurs en IFSI ou une action de formation à la bientraitance dans une clinique chirurgicale (Le brancardier, un manager ? Article à paraitre dans le prochain numéro de Soins Cadres).
Ces exemples assez différents les uns des autres montrent pourtant des points communs :
- Il s’agit toujours d’une réflexion collective et d’une prise en charge de son devenir par un collectif de travail. Une auto-analyse individuelle de l’activité est possible mais la controverse professionnelle qui émerge dans un groupe de soignants sera toujours plus efficace et produira des apprentissages plus stables et plus profonds.
- Nous avons observé et souvent mesuré une augmentation de l’auto-efficacité professionnelle, sur un plan individuel ou collectif. Cette amélioration de l’auto-efficacité est une donnée précieuse puisqu’elle favorise l’engagement des professionnels dans l’action et qu’elle permet de prédire en partie la réussite. J’ai pu le mesurer dans le cadre de plusieurs recherches : l’analyse du travail et de l’activité augmente le niveau d’auto-efficacité au travail, ce qui permet d’espérer de meilleurs résultats et une plus grande résilience face aux difficultés.
- Pour produire des résultats durables et significatifs, l’analyse des pratiques doit être fondée théoriquement et pragmatiquement. Ici, ces actions étaient situées en didactique professionnelle. La didactique professionnelle est complètement cohérente et compatible avec l’approche par les compétences en posant des questions simples et pertinentes pour évaluer les compétences (Voir le chapitre de Vergnaud).
- Que faisons-nous « vraiment », pourquoi et comment ?
- Pour un même résultat, avons-nous plusieurs manières de faire à notre disposition ?
- En quoi certaines de nos manières de faire sont elles plus efficientes ?
- Comment être moins démuni devant des situations nouvelles ou inédites ?
Pour les infirmiers libéraux, comment s’organiser ?
Il est toujours possible de se prendre en main, de constituer des groupes autonomes et de bénéficier des services d’un organisme de formation labellisé DPC pour remplir les conditions de financement notamment. Se regrouper et coopérer, les infirmiers libéraux savent le faire. Y parvenir est la marque d’une grande exigence et maturité professionnelle. Il sera plus simple souvent de faire appel à un « facilitateur », un formateur qui va pouvoir guider le travail mais surtout qui saura restituer les résultats de l’évaluation des pratiques professionnelles à la communauté.
Dans tous les cas, il est recommandé de prendre le travail « au sérieux », de se centrer sur les pratiques et non sur autre chose. Trop souvent, les conditions organisationnelles du travail sont interrogées au détriment de l’activité. Ici, c’est l’activité quotidienne, banale mais productive qui est l’objet de l’attention, quitte à la resituer dans son contexte. Le travail ordinaire, réussi, devient le centre de la réflexion et doit le rester. Pour cela, une formation à l’activité, à l’analyse de l’activité, se révélera indispensable. Nous y voyons là le vrai préalable à l’évaluation des pratiques professionnelles.
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