La critique envers les centres de formation est récurrente, et à juste titre, sans doute. En fait, la critique dépend essentiellement du point du vue duquel on se place. Par exemple, pour les autodidactes, les centres de formation sont des institutions dont ils n’ont pas eu ou voulu l’usage. C’est une sorte de luxe cognitif après tout… Mais pouvoir apprendre en mobilisant les ressources des institutions sans les institutions éducatives elles-mêmes n’est pas à la portée de tout le monde.
A ce sujet, un très beau texte, à la fois personnel et rigoureux et dans sa construction, a été rédigé par JmFJ sur son blog, blog que je vous recommande par ailleurs, et pas seulement pour ses billets d’humeur et ses positions à l’emporte-pièce. Un peu pour cela aussi… L’authenticité est un bien rare de nos jours…
Son témoignage ressemble par bien des égards à celui des autodidactes ! Les autodidactes sont les meilleurs apprenants qui soit puisqu’ils déterminent leurs besoins de formation, leurs méthodes d’apprentissage et qu’ils contrôlent cognitivement et métacognitivement la réalisation de leurs apprentissages. Il se trouve que l’on rencontre de nombreux autodidactes au fond des amphis, ils y apprennent merveilleusement bien. Les centres de formation sont utiles pour les ressources qu’ils peuvent mettre à disposition et, à ce stade du choix des moyens, les autodidactes savent ce qu’ils en attendent, ou pas…
Si, de manière assez évidente, l’autodidaxie apparaît comme l’étape ultime de l’apprenance, bien d’autres apprenants ne parviendront jamais à cette aisance et à cette fluidité cognitive. Les autres sont bien obligés d’aller se former… Ce n’est ni tout à fait le problème des apprenants, ni non plus celui des formateurs seuls. C’est une question de rencontre et d’interaction. Souhaiter la fin des centres de formation, c’est supprimer l’opportunité de ces rencontres heureuses, souvent imprévues, en tout cas difficilement prescriptibles.
Pourquoi défendre (ou accabler) les centres de formation ?
La question est peut être très mal posée ainsi. En fait, les dynamiques de l’apprentissage m’intéressent bien plus que les méthodes de l’enseignement ou de la formation. Question de point de vue personnel… Il m’arrive souvent de former (de rencontrer des apprenants qui ont plus ou moins envie d’apprendre et qui développent certaines dispositions pour cela…) mais la question que je me pose à chaque fois est : « Apprennent-ils ? » Le vrai problème est celui des conditions d’apprentissages que je peux contribuer à créer ou non. Et lorsque les conditions d’apprentissage ont pu être réunies, je continue à m’interroger : les « apprenants » sont-ils disposés à apprendre ?
Je me situe ainsi plus ordinairement dans le paradigme Apprendre que dans le paradigme Enseigner. Le premier se trouve d’ailleurs au cœur de la didactique professionnelle où l’apprentissage se conçoit de deux manières : 1 – Sur le terrain, on apprend à faire, surtout parce qu’on est en activité, 2 – On apprend le métier par l’exercice du métier. L’apprentissage est à la fois le processus et le résultat.
Bien entendu, comme l’a souligné Pierre Pastré à plusieurs reprises, la dynamique anthropologique de l’apprentissage est tellement cruciale que les sociétés se sont organisées en conséquence, notamment en créant des institutions dédiées spécifiquement à l’apprentissage. Là où les hommes apprenaient plus ou moins consciemment dans l’activité, et par l’activité productive, il a fallu trouver les ressources pour apprendre lors de moments d’activités constructives, c’est-à-dire séparées de la production. En un sens, c’est un immense progrès social et une source d’efficacité individuelle et collective indéniable. Mais il est devenu évident que le travail pouvait s’apprendre non seulement en dehors du travail et surtout par d’autres moyens que le travail lui-même. Ce changement de moyens semble convenir plus à certains qu’à d’autres. Les apprenants « standards » peuvent-ils marcher au pas des autodidactes ?
La percussion des compétences
Une fois de plus, la notion floue des compétences bouscule les certitudes établies. Depuis le moyen-âge, les savoirs s’apprenaient en centre de formation et à l’école, mais, dans notre époque post-moderne, où s’apprennent les compétences ? Et d’ailleurs, interrogent les hyper-modernes, les compétences s’apprennent-elles vraiment ?
Un bon professionnel, je veux dire celui qui est tout-à-fait conforme aux attentes du management, n’attend pas qu’on l’envoie en formation pour s’adapter. Conscient de l’évolution de son entreprise, il adhère pleinement à ses intérêts et se mobilise pour générer les compétences qui lui font défaut (ben tiens). Il valorise son expérience professionnelle pour combler l’écart entre les compétences requises et les compétences acquises. De ce point de vue, il ne faut pas abandonner la critique radicale de la notion de compétence, et celle de l’autodidaxie également, si elle conduit les salariés à se perfectionner en devançant les attentes et sans même avoir besoin de recourir au droit pourtant durement acquis à la formation.
La notion de compétence, dotée d’un étrange pouvoir d’attraction, a rapidement perfusé les milieux de la formation. Ils vivent maintenant dans la dépendance des entreprises : la production, à flux tendu, de référentiels de formation a été l’instrument de cette mise sous tutelle du monde de l’éducation et de la formation.
Faut-il se méfier des superpouvoirs des autodidactes ?
Les autodidactes apparaissent comme des apprenants surentrainés et performants. Comme les autres, ils ont besoin de certifications et de validations mais ils réfutent la formation institutionnelle qui conduit au diplôme. Au nom de cette compétence particulière de genèse professionnelle, inégalement distribuée je le rappelle, nous pourrions être tentés de décréter la fin des organismes de formation. Il est vrai que certains sont moribonds et ne tiennent que sous perfusion… Ce serait oublier un peu trop vite le rôle éminent d’accompagnement qu’ils jouent pour le plus grand nombre d’apprenants, plus faiblement autodirigés et moins compétents que les autodidactes.
Laissons encore aux centres de formation une chance de prouver leur valeur et de montrer qu’ils sont capables de nouer un dialogue constructif avec les entreprises ou les conseils régionaux. Ils le feront, ils le font déjà, en reprenant une saine distance critique basée sur le long terme et la volonté de construire des identités professionnelles solides. L’adaptation hyper-réactive aux supposés besoins des entreprises n’est pas la ligne d’horizon. Les entreprises elles-mêmes sont finalement bien incapables de définir leur stratégie à moyen et long terme.
Ne militons pas trop vite pour la fin des centres de formation. Leur mission de développement professionnel, de construction d’une identité collective fondée sur un savoir-faire actualisé, de renforcement de l’autonomie des acteurs, tout cela pourrait disparaitre, si l’on n’y prend pas garde. Le plus grand nombre des apprenants en pâtirait.
A relire pour le plaisir
Pastré, P. (2006). Apprendre à faire. In É. Bourgeois & G. Chapelle (éd.), Apprendre et faire apprendre. Paris: PUF.
Pastré, P. (2008). Apprentissage et activité. In Y. Lenoir & P. Pastré (éd.), Didactique professionnelle et didactiques disciplinaires en débat. Toulouse: Octarès.
Bonjour Marc,
Merci tout d’abord de participer à cette belle démonstration que le web est contributif et constructif.
De l’article Paul Santelmann, Responsable de la prospective à l’AFPA, 1er organisme de formation de France, qui s’interroge sur l’avenir des organismes de formation à ta contribution scientifique sur les questions de l’apprentissage et le mystère des autodidactes, je ne poserai que trois questions :
1 – Que puis-je attendre d’un système éducatif reproducteur d’inégalités ?
2 – Que puis-je attendre d’un organisme de formation qui ne forme pas ses intervenants ?
3 – Comment se fait-il qu’à aucun moment, il m’a été demandé comment j’apprenais ?
Personnellement, je n’ai aucun super pouvoir mais apprendre était juste une question de survie.
Joyeuses Fêtes à toi, à tous les pédagogues qui œuvrent pour de meilleures solutions et à chaque apprenant qui permet aux éducateurs et formateurs d’être le meilleur d’eux-mêmes par un dialogue pédagogique respectueux de toutes les formes d’intelligence.
Bonjour,
J’ai laissé un mot directement sur le blog de Santelmann http://blogtfs.afpa1.host.privilis.com/?p=2822#more-2822
Il me semble que tes trois questions sont d’excellentes questions… Effectivement, soit on ferme les centres de formation, soit on prend chacun sa part du changement. Pour moi, les deux directions du changement sont lumineuses : apprenance et didactique professionnelle…
Bon réveillon
Bonjour Marc,
J’avais lu l’article de Paul Sentelman dont j’avais bien apprécié la teneur, mais je n’avais pas lu ton article, que je trouve excellent.
L’organisme de formation doit, selon moi, bien jouer le rôle de cet intermédiaire aux conditions que tu décris très bien je pense :
– prouver leur valeur (à définir, dans bien des situations selon moi)
– en montrant qu’ils sont capables de nouer un dialogue constructif avec les entreprises ou les conseils régionaux (en conseillant et en accompagnant les entreprises qui, dans bien des situations, je te rejoins, définissent trés difficilement leur stratégie et leur besoin en formation)
– en prenant en considération une saine distance critique (éthique ou déontologie professionnelle à remettre en exergue)
– en mettant en avant la volonté de construire des identités professionnelles solides (pas exclusivement fondées sur les référentiels de compétence).
Car en effet, la ligne de conduite majeure des organismes de formation paraît souvent être une réaction super-réactive aux supposés besoins de formation d’un individu ou d’une structure, tel que tu l’indiques trés justement et j’acquiesce complètement quand tu indiques que l’adaptation hyper-réactive aux supposés besoins des entreprises n’est pas la ligne d’horizon…. oui, mais cela, on devrait le crier un peu plus haut sur les toits !!!