L’approche humaniste de la relation éducative soignant – soigné

Les articles antérieurs sur l’éducation thérapeutique du patient traitaient essentiellement de l’ETP sous l’angle de l’analyse de l’activité ; pour moi, l’éducation thérapeutique du patient est une relation de service si particulière, si emblématique des situations de travail que son analyse interroge nos outils habituels en didactique professionnelle. Mais cet article est une contribution invitée. Nathalie Alglave, directrice des soins, directrice de l’Institut en soins infirmiers du CHU de Nantes, en est l’auteure. Doctorante en Ph.D. éducation à l’université de Sherbrooke, elle porte haut le souci de construire une solide épistémologie des sciences infirmières. Exactement ce qui nous manque, encore et toujours.

Son article est le bienvenu ici, d’une part parce qu’il nous rappelle l’impérieuse nécessité d’une démocratie sanitaire dynamique, soucieuse d’accorder une place éthique aux patients atteints de maladies chroniques. Or, cette orientation ne se réduit pas à une idéologie humaniste de bon aloi mais parfois terriblement inconsistante, elle propose des perspectives opérationnelles précises et remet en cause la répartition traditionnelle du pouvoir sur le corps, sur les corps. Les patients sont devenus définitivement des « usagers-citoyens » qui réclament la reconnaissance de leurs droits. Ils se posent face aux médecins et aux soignants, bousculent le jeu du pouvoir et de la soumission. L’éducation thérapeutique du patient est réinterrogée dans ses méthodes mais aussi certainement dans ses fondements : nous savons bien qu’elle n’a pas toujours été source de libération et d’émancipation…

D’autre part, et en conséquence de ce qui précède, Nathalie Alglave va introduire une distinction passionnante entre autogestion de la maladie et autorégulation de la santé. En effet, le processus d’émancipation doit être conduit à son terme et par les patients eux-mêmes. Il faudra donc abandonner l’idée faussement généreuse d’autogestion de sa maladie par laquelle le patient gère sa maladie en lieu et place du médecin et du soignant. Après tout, c’est une sorte d’injonction paradoxale que d’exiger du patient de renforcer son expertise pour devenir le supplétif du médecin. Le patient conquiert une certaine autonomie qui décharge le médecin d’une partie de la surveillance et des soins mais l’autonomie est dépendante du pouvoir médical. La maladie, c’est le domaine du médecin. Autoréguler sa santé signifie plutôt un changement de paradigme pour le patient. Cette fois, il retrouve tout sa capacité d’agentivité et d’initiative pour conduire sa propre vie, comme il peut, comme il veut, parfois dans une totale indépendance du médecin. Le soignant, dès lors, n’est plus dans « la prise en charge », il accompagne là où le patient, l’usager-citoyen, veut aller.

La dynamique vitale de la santé ne se prescrit pas mais se construit par l’expérience subjective et en relation avec autrui. Le lecteur comprendra dès lors l’avancée conceptuelle et pragmatique que constitue la mise en dialectique de la théorie sociocognitive de Bandura et de la théorie humaniste du nursing de Paterson et Zderad. La santé, dans la vision holiste développée ici, est bien une « expérience existentielle humaniste ». À nous d’en tirer toutes les conséquences. Les patients, nous-mêmes peut être un jour, peuvent être instrumentés mais nous devons prendre garde à lutter contre l’instrumentalisation de leurs représentations et de leurs comportements.

Marc Nagels

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L’approche humaniste de la relation éducative soignant – soigné. L’exemple de l’éducation thérapeutique du patient.

Le contenu de cet article se destine, dans un premier temps, à poser un regard critique sur l’utilisation de la figure de l’usager dans le système de santé en France, pour aborder la place du patient « expert » de sa maladie, dans le cadre de l’éducation thérapeutique. Dans l’univers complexe du système de santé actuel, la rationalisation des moyens s’impose avec des discours dominants prescriptifs, voire idéologiques. Pouvoirs publics et sociétés savantes installent des certitudes qui se normalisent. Les soignants comme les soignés se trouvent réduits à répondre aux injonctions non seulement de ce qu’ils doivent faire, mais aussi ce qu’ils doivent penser, chercher et comprendre (Krol, 2009). Nous pensons que l’éducation thérapeutique du patient devient le jouet de ces enjeux. A ce titre, nous insistons sur la nécessité de préserver une approche humaniste des organisations mises en place, afin d’apporter réellement à la personne soignée, la perspective d’être auteure de sa santé. C’est l’objet du deuxième temps de cet article, où nous aborderons la relation éducative soigné-soignant dans une approche sociocognitive et existentielle, au titre du développement de compétences autorégulatrices en santé par la personne atteinte de maladie chronique.

 Les usagers de santé : citoyens, malades, acteurs de santé, patients experts ?

Selon Dassonville (2006), l’émergence du citoyen-usager s’est construite sur l’histoire du système de santé. C’est avec la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, que la notion de démocratie sanitaire est apparue. Antérieurement, ce sont les associations de patients qui ont soutenues les malades, à asseoir leur représentation au sein des instances sanitaires. Ce processus de démocratisation s’est trouvé depuis renforcé en 2009 avec la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST), notamment dans le cadre de l’éducation thérapeutique. Nous pourrions dire que la légitimité réglementée des patients reconnus comme usager-citoyen, est l’une des caractéristiques les plus significatives de l’évolution de la représentation de la santé. Cependant une étude réalisée par Jolivet et Vasquez (2011), sur la mise en « acte » des différentes figures du patient (citoyens, usagers, clients, experts…) usités dans des textes normatifs qualité de la Haute autorité de santé (HAS), vient contrebalancer ce postulat. Les conclusions des investigations mettent en évidence, entre autres, que bien que le patient soit nommé au cœur des démarches, c’est l’organisation et sa reconfiguration qui sont au cœur des problématiques. Les textes ont une forte agentivité en tant qu’inscriptions, prescriptions et sanctions. Ainsi le patient et l’organisation se plient aux démarches qualité dans un système managérial pensé pour l’efficacité et l’efficience. L’activité en éducation thérapeutique du patient (ETP) est directement concernée par ces injonctions, compte tenu de l’ampleur des maladies chroniques, soit 15 millions de personnes atteintes de maladies chroniques en France (Bas, 2007), et de leur répercussion économique sur la société. Si l’ETP est promulguée au titre d’une idéologie humaniste plaçant le patient au centre de toutes les attentions, les pouvoirs publics et sociétés savantes cherchent à mesurer le ratio coût-bénéfice dans un système revendiquant la qualité du parcours de soins. Cependant, dans cette intrication d’enjeux réglementaires et économiques à toutes échelles, ce sont les savoirs nés du vécu, voire de l’expertise du patient, qui font surface et qui viennent interroger la répartition de toutes les formes de pouvoirs en santé, y compris celle du « pouvoir soigner » et du « pouvoir décider » (Jouet, Flora, et Las Vergnas, 2010).

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En effet, les soignants ne peuvent plus se considérer comme les seuls experts, les patients se reconnaissent les détenteurs de savoirs spécifiques liés à l’expérience de leur maladie et le revendiquent. Cette nouvelle dimension vient complètement balayer la dimension poïesis aliénante de l’éducation. Dans la poiesis, « l’autre » est façonné selon sa propre image et l’on souhaite « fabriquer », reflet de la toute-puissance divine, quelqu’un comme le potier façonne son vase, cette activité, de l’ordre de la reproduction, ne possédant de fait aucune autre finalité qu’elle-même (Patrick, 2005). Les injonctions fortes liées à la mise en place de programmes d’éducation thérapeutique et les difficultés inhérentes des soignants, en prise avec des notions de performance et de rationalisation des coûts, viennent réinterroger la place du processus éducatif, l’humanisme qui lui est sous tendue, au titre d’une praxis libératrice. La praxis, fait de « l’autre » une visée en tant qu’être autonome, celui-ci devenant producteur de lui-même (Patrick, 2005).

 L’axe dialogique entre la théorie humaniste du nursing de Paterson et Zderad et la théorie sociocognitive de Bandura

Pour comprendre notre réflexion, il est opportun de mettre en évidence que nous nous situons dans une approche holiste de la santé de la personne atteinte de maladie chronique et dans une visée d’apprentissage autoformative. Nous ne parlons donc pas d’autogestion de la maladie mais d’autorégulation de la santé. En effet, penser l’éducation thérapeutique du patient dans la perspective de la promotion de la santé, permet de ne plus réduire le patient à sa maladie et à sa prise en charge, mais s’oriente vers l’univers plus complexe de la santé globale et de son autorégulation. Dans cette acception, chaque personne est unique parce qu’elle vit ses expériences à sa manière, à partir de l’information que lui fournissent ses sens, sa famille propre et son histoire (Michaud, 2000). Ces caractéristiques sont cependant paradoxales : la personne est à la fois unique et indépendante, mais à la fois interdépendante car en relation avec d’autres. Son existence est une coexistence dans le temps et l’espace ainsi qu’une quête, une expérience et un devenir (Michaud, 2000). C’est dans cette expectative que la théorie humaniste du nursing de Paterson et Zderad (1976) apporte son éclairage via la relation soignant-soigné, considérée comme une expérience existentielle humaniste. Les savoirs et expériences conjoints de l’un et de l’autre sont reconnus comme indispensables. Selon Paterson et Zderad (1976), le soin est un dialogue expérientiel, un vécu entre des personnes incarnées, une relation intersubjective et transactionnelle réfléchie et déterminée, dans l’« ici et maintenant ». Ces moments de partages sont considérés comme des interventions éducatives parce que, selon Paterson et Zderad (1976), la valeur de ces partages peut être appréciée en reconnaissant les possibilités de croissance qu’ils offrent. Dans ce cadre, la maladie est considérée comme une expérience humaine, qui peut permettre la croissance si la personne en comprend la signification (Pepin, Ducharme, et Kérouac, 2010).

http://www.photo-libre.fr/gens/28a.jpgLa personne dite malade est un lieu de savoir (a knowing place) qui doit être exploré. Elle a la capacité de vivre des expériences auxquelles elle accordera une valeur ainsi que la capacité de réfléchir sur ces expériences de façon à devenir plus (Paterson et Zderad, 1976). C’est pourquoi, nous pensons que l’attention doit être portée sur la personne soignée pour comprendre : comment dans cet espace du soin, celle-ci se met en capacité d’apprentissage pour autoréguler sa santé. Nous adhérons aux propos de Lameul, Jézégou, et Trollat (2009), qui spécifie que l’efficacité des dispositifs repose principalement sur la dynamique de l’apprenant (motivation, autorégulation), l’environnement pédagogique pouvant selon les cas, favoriser cette dynamique ou la contrarier. C’est pourquoi, nos réflexions s’ancrent dans des perspectives psychosociologiques pour tirer partie de l’expérience du savoir du patient, du développement de ses compétences et de sa capacité au changement. Résolument orientée dans une approche micropsychopédagogique de la personne adulte atteinte de maladie chronique, notre recherche en cours, pose les jalons d’une dialogie entre deux champs disciplinaires : les sciences de l’éducation et les sciences infirmières. Ceci se caractérise par l’intérêt d’explorer la théorie humaniste du nursing de Paterson et Zderad (1976), d’inspiration philosophique et la relation trilogique entre la personne, son comportement et l’environnement telle que explicitée dans la théorie sociocognitive de Bandura (2003). Cette interface ainsi posée, a pour objet d’étudier la relation éducative existentielle soigné-soignant (personne soignée – infirmière) pour rendre compte de son effectivité positive sur le développement de compétences autorégulatrices en santé chez la personne soignée. Cette réflexion épistémo-ontologique qui s’inscrit dans une approche sociocognitiviste, souhaite poser un regard triangulaire sur la personne soignée dans ses dimensions cognitives, affectives et conatives (Carré, 2005) ; son comportement et l’environnement socialement situé du soin. Dans ce cadre, sont pris en compte les vécus, les perceptions et les réalités des acteurs, dans le but de créer des savoirs collectifs et individuels. Les auteurs de cette co-relation sont ainsi mis en valeur et reconnus dans et par leur expérience.

 Conclusion

La visée de l’éducation thérapeutique n’est pas de modeler l’autre selon des valeurs « soignantes » et ou normes sociales attendues, mais au contraire de l’accompagner à devenir auto-régulateur de lui même. Dans ce cadre, l’acte éducatif consiste à donner ou à rendre au sujet sa capacité à disposer de forces qui le définissent comme sujet et qui lui permettent de se déployer, pour lui-même, dans une existence significative (Patrick, 2005). Parler de compétences autorégulatrices en santé, supposent de penser le patient comme sujet social autonome, qui échappera toujours à « des programmes stéréotypés visant la reproduction » (Ibid.205). Il y dans l’action éducative, une forme d’imprévisibilité et d’incertitude multifactorielle à prendre en compte et qui justifie d’appréhender cette complexité autrement. Le champ de la recherche est ouvert car il y a là un caractère à jamais inachevé de la rencontre (Develay, 2001).

Nathalie Alglave

 Références bibliographiques

Bandura, A. (2003). Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle. Paris: De Boeck Université.

Bas, P. (2007). Plan pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques 2007-2011 (p. 52). Ministère de la santé et de la solidarité.

Carré, P. (2005). L’apprenance : vers un nouveau rapport au savoir. Paris: Dunod.

Dassonville, A. (2006). Les associations d’usagers dans les concertations régionales de santé.

Develay, M. (2001). Propos sur les sciences de l’éducation : réflexions épistémologiques. Issy-les-Moulineaux: ESF.

Jolivet, A., et Vasquez, C. (2011). Reconfiguration de l’organisation: suivre à la trace les figures textualisées – le cas de la figure du patient. Etudes de communication, (36), 1-12.

Jouet, E., Flora, L., et Las Vergnas, O. (2010). Construction et reconnaissance des savoirs expérientiels des patients.

Krol, P. (2009). De l’apprentissage à la mesure du caring: réflexion épistémo-ontologique. APORIA, 1(2), 42-48.

Lameul, G., Jézégou, A., et Trollat, A.-F. (2009). Articuler dispositifs de formation et dispositions des apprenants. Lyon: Chronique sociale.

Michaud, C. (2000). Apprentissages de parents et d’infirmières lors de l’application du PRIFAM. Programme précose d’interventions familiales à la naissance d’un enfant avecune déficience. Université de Montréal McGill University.

Paterson, J. ., et Zderad, L., (1976). Humanistic Nursing (John Wiley et Sons.). New Oyok.

Patrick, P. (2005). La dimension éthique dans l’éducation pour la santé. Saùde e Sociedade, 14(1), 41-51.

Pepin, J., Ducharme, F., et Kérouac, S. (2010). La pensée infirmière. Montréal: Chenelière éducation.

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