L’entretien de corégulation en éducation thérapeutique du patient. Analyser la coopération soignant-soigné.
Ce texte sera publié en 5 chapitres successifs et sera téléchargeable à l’issue du dernier numéro :
1- Le contexte de l’éducation thérapeutique du patient
2- L’éducation thérapeutique du patient est une relation de service
3- Co-analyser l’activité d’éducation thérapeutique du patient
4- L’entretien de corégulation, proposition de méthode
5- Conclusion et bibliographie
4 L’entretien de corégulation, proposition de méthode
Dans les entretiens de régulation, nous conservons des modes d’analyse de l’activité en vigueur les traces de l’activité, traces écrites, matérielles ou vidéo de l’activité pour ne pas en être réduit à des souvenirs, c’est-à-dire des reconstructions mnésiques a posteriori. Nous proposons également que l’analyse soit facilitée, ou guidée, par un chercheur ou un formateur. L’expérience de nombreuses analyses du travail montre combien l’effort de l’acteur est intense pour dépasser le niveau préréflexif et produire un discours consistant sur son activité. Il y a beaucoup à faire et à chercher sur les logiques de développement professionnel en situation de service, notamment du coté de la formation des compétences des professionnels ou des transactions identitaires (Piot, 2009).Toutefois, comme nous nous intéressons aux activités de service et, plus précisément encore, à l’éducation thérapeutique du patient, nous avons besoin de modifier notre appareillage conceptuel et méthodologique. En effet, que l’ « objet » de service soit un « sujet » change considérablement le point de vue. L’objet d’usage n’est plus extérieur à l’usager comme pouvait l’être la voiture défectueuse du client quand il rencontre le réceptionnaire automobile (Mayen, 1998, 2000), l’objet d’usage c’est le corps du patient. L’enjeu réside dans la diminution de la souffrance perçue, la récupération fonctionnelle, voire la qualité de vie qui peut être préservée. L’objet, « c’est moi », dit le patient. En s’inscrivant dans le cadrage théorique des activités de service, celui de l’analyse de la co-activité et de la collaboration en vue de la coproduction du service, nous nous intéresserons par conséquent au langage et aux concepts organisateurs. Nous introduirons toutefois une variation déterminante : puisque l’activité est coproduite à travers l’ensemble de ses micro-régulations dont les jeux de langage portent trace alors l’activité doit être co-analysée, professionnel et patient conjointement, pour donner les meilleures chances de développement professionnel aux soignants et ainsi assurer une qualité des soins optimale.
L’entretien de corégulation n’est pas exactement une autoconfrontation croisée ou un entretien de co-explicitation qui ne mobilisent que les professionnels. Ici, les patients participent activement à la compréhension des interactions. L’analyse est facilitée par le chercheur ou le formateur. La finalité des entretiens de corégulation vise la qualité de la prestation éducative. Le but est opératoire, c’est celui d’améliorer la coopération soignant-soigné dans le cadre de l’expérience de santé dans la maladie vécue par le patient.
Le guidage de l’entretien en référence aux dimensions de l’analyse favorise la prise de conscience réflexive du patient et du soignant. Sont ainsi travaillés les concepts organisateurs du soignant et du soigné, les jeux conversationnels et les comportements langagiers de coopération.
L’entretien de corégulation est lui-même inséré dans un dispositif d’analyse, voir la figure suivante, qui comprend des autoconfrontations (Faita & Vieira, 2003) et des réalisations de vidéos de modelage instructif (Bandura, 2003, p. 665).
Figure 1. Le dispositif de corégulation
Nous allons détailler les différentes phases de la démarche.
4.1 L’enregistrement de l’activité
L’activité conjointe du soignant et du soigné est enregistrée en vidéo, elle constitue le matériel de base indispensable à la démarche de corégulation. Il peut s’agir de l’un ou l’autre entretien prévu au programme d’éducation thérapeutique du patient, d’un atelier thématique où un dialogue constitue une séquence suffisamment longue et significative. Une rencontre à domicile est également envisageable. La caméra tourne en plan fixe en veillant à une bonne qualité sonore de l’enregistrement.
4.2 Les autoconfrontations
L’autoconfrontation est une méthode d’analyse de l’activité (Theureau, 2005) où un opérateur commente son activité en présence d’un formateur ou d’un chercheur. La plupart du temps, l’activité est présentée en vidéo, méthode d’enregistrement qui se veut la plus objective possible pour capter l’activité de travail.
Commenter son activité peut-être considéré comme une introduction à la suite de l’analyse. En effet, le commentaire de la vidéo est informatif sur les opérations effectuées mais il ne révèle pas suffisamment les processus cognitifs et métacognitifs qui sous-tendent la réalisation des tâches. L’autoconfrontation cherche à atteindre ce niveau d’analyse réflexive. Le but est de faire prendre conscience aux participants de leurs connaissances, des différents modes opératoires utilisés et de leurs stratégies d’adaptation en situation.
Les autoconfrontations se caractérisent par un cadre dialogique : « Lorsque le dialogue s’arrête, tout s’arrête » (Bakhtine, 1970, p. 344) et la centration sur la métacognition puisque l’acteur prend son activité comme objet de sa réflexion.
La vidéo de la séance est souvent d’une durée conséquence et, lors des autoconfrontations, il sera demandé à la personne soignée et au soignant de sélectionner les séquences les plus significatives. Elles correspondent à des activités critiques dans des classes de situations perçues comme particulièrement représentatives de l’éducation thérapeutique du patient. Suite aux autoconfrontations et en prévision de l’entretien de corégulation, le chercheur analyse ces activités perçues comme critiques du point de vue des jeux conversationnels et des comportements langagiers de coopération.
Les autoconfrontations sont elles-mêmes enregistrées en vidéo.
4.3 L’entretien de corégulation
Les deux autoconfrontations précédentes ont permis de collecter du matériel au plan cognitif et métacognitif sur l’activité d’éducation thérapeutique du patient. Le but est maintenant de poursuivre conjointement l’analyse entre le soigné, le soignant et le chercheur.
Les autoconfrontations ont fait émerger les concepts organisateurs des deux protagonistes. Ils sont, premièrement, exposés et discutés pour en évaluer la portée heuristique au titre de la conduite de la relation éducative.
Deuxièmement, le chercheur fait part de ses analyses des jeux conversationnels et des comportements de coopération. Elles sont discutées du triple point de vue de la régulation selon Canguilhem (1989) :
- la relation d’interaction entre des éléments relationnels instables,
- la régulation comme critère ou repère dans le déroulement de l’entretien d’éducation thérapeutique,
- le comparateur entre un référentiel subjectif de la relation soignant-soigné et la mise en œuvre perçue de la relation par les acteurs.
4.4 Les vidéos de modelage instructif
L’entretien de corégulation produit une analyse fine de l’activité, c’est précieux pour les deux acteurs en présence pour renforcer les diagnostics sur les modes d’action, ajuster avec plus d’efficacité les stratégies de coopération et, finalement, faire prendre conscience des leviers sur lesquels agir en situation, tant pour le soigné que le soignant.
Ces connaissances nouvelles sont également très utiles au-delà du couple soignant-soigné qui a conduit l’analyse. La communauté professionnelle peut s’en saisir ainsi que les patients, associations et patients-experts en tant que praticiens de l’éducation thérapeutique du patient. Nous nous intéressons ici aux logiques didactiques d’apprentissage, de développement et de formation des compétences.
Ce processus de corégulation a pour effet de développer les compétences des professionnels et des patients. L’entretien de corégulation joue un rôle direct par la prise de conscience de ses comportements de coopération au sein des interactions. Les autres professionnels ou patients peuvent en bénéficier pour accélérer leur propre développement de compétences. L’un des moyens efficaces de transmission des acquis est un processus de modelage par la parole et par l’action efficace. L’expérience vicariante est équivalente à un apprentissage par observation.
L’apprentissage vicariant, par observation de ses pairs en situation d’activité ou faisant retour sur leur activité, permet à la fois de nouveaux apprentissages et le renforcement de l’auto-efficacité. Ce mode d’apprentissage par l’observation d’une variété de modèles est plus efficace et plus rapide que l’apprentissage par essais et erreurs. Albert Bandura précise que « le modelage efficace enseigne des procédures et des stratégies générales pour gérer diverses situations, au lieu de seulement spécifier des réponses ou des programmes prescrits » (Bandura, 2003, p. 655). Il ne s’agit donc pas d’une simple imitation mais de la compréhension de l’organisation invariante des comportements efficaces. L’individu dispose alors les ressources pour innover, c’est-à-dire s’adapter à des situations nouvelles de manière créative, sur la base des invariants repérés lors d’apprentissages par observation.
Il est à noter que l’expérience vicariante ne joue pas seulement sur le plan cognitif. Elle influence également la motivation en présentant à l’individu de nouvelles attentes de résultats et des buts plus ambitieux, plus difficiles à atteindre. Sur le registre des émotions, l’expérience vicariante peut provoquer des choix émotionnels et une mise en question du système de valeurs de l’individu en ce qu’il est guidé par des processus affectifs.
Dans l’apprentissage vicariant, l’individu apprend d’autrui, mais il apprend aussi de lui-même, de l’analyse comparative entre ses comportements et les comportements modelés. Apprendre par observation mobilise tout autant l’environnement et les feed-back sur ses comportements que les cognitions de l’individu.
Le modelage instructif repose sur la décomposition de compétences complexes en sous-compétences. Les séquences de réalisation sont ensuite modelées en vidéo. Des informations sont apportées pour identifier et comprendre les procédures et stratégies modelées. Le modelage porte ensuite sur la mise en œuvre des stratégies et des procédures appliquées à des situations changeantes.
La dernière étape du processus de corégulation est donc celle qui voit le professionnel et le patient concevoir un film de quelques minutes exposant les stratégies efficaces de coopération dans le cadre des programmes d’éducation thérapeutique du patient. Ils s’appuient sur des extraits des enregistrements précédents.
A paraître plus tard : 5- Conclusion et bibliographie