Les entretiens d’explicitation : oui, mais… 4/4

 

Plan de l’article

1. La vague des entretiens d’explicitation : faute de mieux ?

2. Quatre méthodes d’analyse de l’activité. De quoi parlons-nous ?

3. Pédagogiquement, que pouvons-nous faire de ces méthodes ?

4. Que faire des données collectées ? Quand la méthode ne saurait suffire…

Bibliographie

 

4. Que faire des données collectées ? Quand la méthode ne saurait suffire…

 

Supposons que l’intervention se soit déroulée selon les attentes du formateur. Des données ont été rassemblées et mises en forme. L’étape la plus cruciale arrive, celle de l’interprétation et de la reconstruction d’une globalité après les opérations de réduction et de séparation liées à l’analyse. Que pouvons-nous attendre de ces différentes méthodes ?

Un entretien d’explicitation sert essentiellement à redéfinir les actions passées en insistant sur la complexité de sa structuration. A l’issue de l’entretien, un résultat apparait : les « fenêtres attentionnelles » et les différentes  focalisation de l’attention sont repérées. Un « habitus personnel et culturel » guide et cadre nos fenêtres attentionnelles » et permet de répondre aux questions : « Que perçoit le professionnel ? Comment passe t-il d’un plan attentionnel à un autre au sein d’une situation ? ».  Certes, ce travail est fondamental en formation professionnelle soignante et chaque formateur sait bien combien les cadrages non fonctionnels peuvent faire de dégâts. Nous pensons par exemple au « coup d’œil de l’infirmier » dans la chambre du patient, compétence majeure si sensible à l’expérience. Or l’expérience forme mais elle est aussi susceptible de déformer…

L’instruction au sosie : quand le dialogue à l’intérieur de soi rejoint le dialogue avec ses collègues. Le cheminement personnel devient explicite à mesure qu’il s’exprime pour guider l’action du sosie mais la dynamique de groupe se crée et se renforce. Le lien s’établit entre l’analyse de son activité et son identité professionnelle. Créativité et élan collectif peuvent naître de la confrontation des particularités individuelles. L’activité n’est pas seulement l’affaire de l’individu, elle acquiert une dimension collective partagée.

Voyons, plus précisément, ce qui peut percoler de l’individu au collectif. L’organisation cognitive de l’activité de chacun quand elle est discutée va faire émerger une structure conceptuelle de la situation qui, elle, aura des chances d’être partagée.

On gagnera donc à traiter les données recueillies lors de l’instruction au sosie à l’intérieur d’un cadre théorique qui est celui de la conceptualisation dans l’action. Les modèles opératifs des uns avec les concepts pragmatiques qu’ils contiennent ont vocation à être restitués au groupe. Réélaborées collectivement, ils peuvent faire l’objet d’un processus de généralisation et d’abstraction, devenant ainsi une structure conceptuelle de la situation, directement appropriable. Les invariants sont repérés et les organisateurs de l’action sont reliés les uns aux autres.

Sylvie Boivin et Grégory Munoz, lors du deuxième colloque de didactique professionnelle en juin 2012 à Nantes, nous donnent un exemple de cette démarche. Leur communication était intitulée : « La conceptualisation dans l’action dans la formation en alternance des étudiants en soins infirmiers : esquisse d’une structure conceptuelle de la situation « cathétériser une veine ». Tiré de leur communication, le schéma suivant est illustratif des outils utilisables en formation.

Quels résultats pouvons-nous escompter des autoconfrontations croisées ?

Le film, matériel utilisé pour l’autoconfrontation simple, conserve des traces de l’activité « brute ». Il est utile d’enregistrer plusieurs séquences comparables. Il s’agit d’une banque d’images pouvant être utilisé pour des fins pédagogiques variées, de l’illustration à l’évaluation en passant par des études de cas possibles.

La première autoconfrontation a pour résultat de produire du texte en lien avec l’activité filmée. Ce discours donne à voir une première analyse qui va au-delà du descriptif pur. Il est numérisable et diffusable, il peut donner lieu à tout type d’échanges avec les autres apprenants, les formateurs ou les tuteurs, en présentiel ou de manière désynchronisée.

La deuxième autoconfrontation permet d’obtenir un échange de significations nouvelles, naissant de l’interaction entre les protagonistes. Elle est source de mise en perspective et de conceptualisation dans l’action. Le résultat n’est plus ici dans la description ou l’analyse d’une activité singulière mais dans le développement professionnel d’un apprenant engagé de manière réflexive dans son activité.

L’auto-analyse de son activité se traduit par deux modes de prise de conscience de l’activité : observation, observation et explicitation. La construction des compétences peut en être le résultat direct.

La prise de conscience porte principalement sur trois dimensions :

  • Repérage de ses erreurs ;
  • Constat de sa posture et de sa gestuelle renvoyées à autrui ;
  • Capacité à s’auto-observer et à s’auto-diagnostiquer. L’apprenant poursuit son débat intérieur sur sa juste place et son implication professionnelle.

 

Conclusion

Ces quatre méthodes d’analyse de l’activité ne sont ni complémentaires ni concurrentes. Elles cherchent toutes des éléments d’information plus ou moins précis sur l’activité en relation avec un environnement et un collectif au travail. Le niveau de précision des descriptions et de compréhension de l’activité peut être variable :

  • Il est poussé jusqu’au bout avec les entretiens d’explicitation ;
  • Il sera élargi à la recherche d’invariants avec les autoconfrontations et l’auto-analyse de l’activité ;
  • L’instruction au sosie mettra sans doute plus l’accent sur la capacité collective à changer le travail été valorisera sans doute plus que d’autres méthodes, l’innovation et la part créatrice du travail comme étant l’œuvre d’un collectif éclairé.

 

Ce qui fait la différence ne réside pas, selon nous, dans la méthode mais dans l’usage que l’on fera des méthodes. Au service de quelle finalité agissons-nous ? Quel lien instrumental souhaitons-nous établir entre nos buts, les outils et la nécessité du développement professionnel, s’il nous importe ?

En définitive quelle sera notre orientation vers la didactique professionnelle ? Cette voie nous suggère de mieux connaitre l’activité à laquelle nous prétendons former. Cela semble un truisme, mais au fond de nous mêmes, nous percevons parfois avec beaucoup d’acuité que notre connaissance de notre métier est parfois limité à l’expression de nos routines. Il nous faut revenir aux sources du métier, authentiquement, sincèrement et sérieusement, nous mettre en chantier et redécouvrir le métier par l’analyse de l’activité. Nous serons alors plus aguerris pour concevoir des situations d‘apprentissage sur la base de notre meilleur connaissance des situations clés.

Ces méthodes, l’entretien d’explicitation en tête, ne permettent pas toutes de saisir les invariants des situations et n’autorisent pas toujours la formulation de la structure conceptuelle des situations, pourtant objet de formation tout désigné. Nous devons donc les utiliser à bon escient, pour ce qu’elles peuvent faire et non par habitude ou méconnaissance d’autres méthodes plus adaptées.

Il est à souhaiter que la vague qui depuis plusieurs années porte les entretiens d’explicitation dans les formations paramédicales se transforme en lame de fond favorable à la didactique professionnelle. Nous irons plus loin, plus haut et plus fort dans notre approche par les compétences.

Bibliographie

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Oddonne, Y, Re, A., Briante, G. (1981/1977). Redécouvrir l’expérience ouvrière. Vers une autre psychologie du travail. Paris. Editions sociales.

Pastré, P. (2005). La deuxième vie de la didactique professionnelle. Éducation Permanente, 165(4).

Pastré, P. (2011). La didactique professionnelle. Paris: PUF.

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Vermersch, P. (2004). L’entretien d’explicitation. Issy-Les-Moulineaux: ESF Éditeur.

 

1 réflexion sur « Les entretiens d’explicitation : oui, mais… 4/4 »

  1. L. Auteur de l’article

    Bonjour,

    Merci beaucoup pour les informations que vous m’aviez transmises et qui m’ont été très utiles. Je suis encore loin d’être satisfaite de mes cours mais je situe mieux les différentes approches pédagogiques! Bonne journée et merci encore.
    Cordialement,
    L.

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