Les référentiels de compétences sont produits sur un mode quasi industriel, chaque métier exigeant le sien. Mais quelle est leur valeur ajoutée ? Pourquoi faudrait-il un référentiel plutôt que rien ? Les référentiels de compétences sont indispensables pour organiser et planifier les acquisitions et les validations de compétences, nous dit-on. Pourquoi pas ? A ceci près que la compétence est émergente et labile. Son expression dépend des situations. Elle ne se résume pas au contenu d’un référentiel : le référentiel n’est pas la compétence.
Aujourd’hui, qui critique encore la fabrication standardisée des référentiels de compétences ? Nous vivons une époque très appliquée, sinon très applicative et la réflexion distanciée peut s’y perdre. Chacun y va de sa méthode de construction des référentiels : un marché est à occuper. Nous-mêmes, nous n’y avons pas échappé, encore que notre position critique nous amenait à revoir les référentiels et les formations d’un point de vue très nouveau.
Nous verrons aussi que la didactique professionnelle, Pierre Pastré en tête, a toujours pris ses distances devant des objets qui ne servent finalement que très peu la réflexion sur les compétences, d’un point de vue cognitif. Comme si ces artefacts créés par la formation professionnelle évacuaient ce qui fait pourtant la complexité de la notion, un paradoxe tout de même…
La série de trois articles à venir propose une alternative à l’usage abusif, parce que strictement applicatif, des référentiels de compétences. Tant que les référentiels de compétences ne seront qu’une liste de tâches et d’exigences à visée plus ou moins normative, nous devrons trouver d’autres outils qui prennent en compte : a) le professionnel lui-même et non les attributions dont il fait l’objet, b) la co-production interactive de la compétence par l’environnement, le sujet, et par ses comportements en situation, et c) qui permettent de développer la compétence en formation professionnelle. Notre perspective est celle de l’émancipation des apprenants et des professionnels confrontés à la normalisation du travail. Nous maintenons cette perspective au moment où le développement professionnel semble devenir de plus en plus une notion superflue.
Un premier article fera le point sur la notion de compétence et ses aspects cognitifs et sociaux, pour, avant tout, dire de quel point de vue nous parlons. Ça aide à se comprendre et à poser les termes du débat…
Un deuxième article traitera de la compétence : « De la norme au sujet stratège ». Penser que la compétence existe, pire : croire que nous pouvons la décrire et la stabiliser dans un référentiel est une erreur théorique et méthodologique. Toute visée de normalisation de la compétence trouve son origine dans une tentative de réification. C’est ignorer les caractéristiques labiles de la compétence, celles qui expliquent précisément l’adaptation du sujet aux situations évolutives. Nous développerons une vision élargie de la compétence, non réduite à ses aspects purement cognitifs, pour rendre compte des dimensions stratégiques du sujet face aux tentatives d’assujettissement de l’environnement.
Un troisième article évoquera, en conclusion, « Le référentiel de compétences, cet objet désuet du 20eme siècle ». Reprenant les arguments de l’ergonomie cognitive et ceux de Christophe Dejours sur les causes de souffrance au travail, nous développerons l’idée qu’un référentiel ne prédit rien ou, finalement, tellement peu de choses utiles. Si, de plus, les prédictions ont tendance à ne pas se réaliser, une déontologie des professionnels, c’est-à-dire la manière dont ils redéfinissent les tâches, est préférable à un référentiel de compétences. Lorsque l’enjeu des compétences est une affaire d’engagement dans le travail, la voie de la déontologie est finalement plus raisonnable. Cette perspective est à explorer, tant en milieu professionnel qu’en formation professionnelle et universitaire.