Nous avons vu dans un précédent billet que pour des activités à risque comme la pratique des infirmiers anesthésistes (IADE), il était nécessaire de réfléchir sur le flou acceptable ou sur le niveau de fiabilité de l’évaluation. Nous allons voir maintenant que l’évaluation des compétences ne ressemble peut-être pas à une autre évaluation.
Je suis personnellement attentif aux points suivants.
L’évaluation est « située ».
La performance, qui apparait à un moment donné et dans une situation particulière, est forcément dépendante de la situation et de ses caractéristiques. Il s’agit d’ailleurs de ne pas confondre la performance (modification durable et parfois directement observable de l’environnement) et les résultats qui sont des jugements sur la performance. Voir à ce sujet l’ouvrage d’Albert Bandura : Auto-efficacité.
Lorsque les outils d’évaluation font référence aux paramètres de la situation, ils apportent un éclairage essentiel sur la valeur de la performance et les conditions de sa réalisation. En outre, ils respectent un peu plus l’équité entre les évalués, la situation d’évaluation allant différer immanquablement d’un évalué à l’autre.
Évaluer la performance n’est pas évaluer la compétence.
On peut réussir ou échouer par hasard, ou par chance. Pour éviter ces aléas dans nos pratiques d’évaluation, nous devons respecter deux principes :
- La même évaluation doit être répétée dans des contextes identiques ou similaires pour éviter l’échec ou la réussite abusive. Trois fois suffisent. C’est pourquoi, en formation IADE, la simulation sur patient virtuel prend toute sa valeur si on veille à ne pas détacher l’appréciation de la performance des caractéristiques de la situation d’évaluation.
- Il est indispensable de prendre en compte les raisonnements qui accompagnent la performance. Ils témoignent d’une structuration cognitive de l’activité destinée à reproduire la performance.
Valeur diagnostique et pronostique de l’évaluation des compétences
Évaluer une compétence suppose de faire un diagnostic sur la performance produite – ce que sait faire l’apprenant à un moment donné – et de se prononcer sur un pronostic – la probabilité qu’elle se reproduise à l’intérieur d’une classe de situations. C’est un point fondamental en ergonomie cognitive et en didactique professionnelle. Par conséquent, on ne peut pas procéder uniquement à une hétéro-évaluation, externe au sujet évalué. Il faut entendre le IADE, sur ses raisonnements, sur son auto-évaluation, pour comprendre sa performance et estimer les chances de succès à l’avenir. Ainsi, ce n’est plus la grille d’évaluation qui est au centre de l’évaluation mais la situation d’évaluation elle-même : l’évaluateur, l’évalué et le contexte d’apparition de la performance. Ce qui change considérablement les pratiques et la posture des évaluateurs !
Moyennant un temps de formation assez bref, les évaluateurs peuvent passer souplement d’un registre à l’autre. Ils abandonnent le behaviorisme insidieux et caché dans l’évaluation de la performance. A ce sujet, les jurys de VAE en milieu agricole ont beaucoup à nous apprendre sur les procédures d’évaluation des compétences, nous pourrions regarder leurs pratiques déjà anciennes avec beaucoup de profit pour l’enseignement supérieur. Non pas que la VAE soit possible sans restrictions pour les soignants, mais les évaluateurs ont une manière très particulière de s’impliquer dans la situation d’évaluation. Ils fournissent encore à ce moment là des indications fort utiles aux évalués pour aller lus loin et finalement exprimer le point de développement qu’ils ont atteint. L’évaluation reste certificative et formelle mais les évaluateurs testent activement les capacités d’adaptation des évalués à des situations nouvelles fournies en séance. En cela, ces pratiques singulières sont tout à fait en cohérence avec la notion de compétence.
Ce deuxième billet nous dit quelles sont les bonnes pratiques d’évaluation de la compétence, en formation IADE mais plus largement, dans l’enseignement supérieur professionnel. Au-delà de cette pragmatique de l’évaluation, il nous manque l’essentiel : des critères pertinents pour évaluer la compétence soignante. Ce sera l’objet du troisième (et dernier ?) billet sur l’évaluation des compétences des IADE.