En formations médicale et paramédicale, le futur technologique est déjà là, disponible, sous nos yeux. En revanche, les usages, et surtout les usages prescrits, ne se manifestent jamais au niveau attendu par les développeurs. Ces derniers se concentrent sur les artefacts et ne peuvent pas toujours penser les usages et les obstacles dans l’usage.
Continuer la conception dans l’usage
Les contraintes technologiques n’expliquent pas tout du manque d’utilisation des technologies de la formation par les enseignants et les étudiants. Il se trouve que du côté des usagers, le problème est plus complexe. Croire qu’une technologie est utile ne s’accompagne pas toujours d’un sentiment de facilité d’utilisation et encore moins de l’intention d’utiliser cette technologie. C’est pourquoi, de manière simpliste, il est de bon ton d’incriminer les usagers, trop vieux, trop jeunes, pas assez éduqués, pour en tirer tout le bénéfice. Non, les usagers ne sont pas le problème. La difficulté résiderait plutôt dans le processus de conception pas suffisamment « continué dans l’usage », comme disent les ergonomes. Les exemples abondent de technologies inutilisées, dépourvues de signification ou détournées immédiatement et irrémédiablement de leurs usages prescrits. Il existe ainsi une grande différence entre concevoir pour les usagers et concevoir avec eux.
Du point de vue de l’adoption des technologies, la formation professionnelle est un excellent observatoire. Elle ne devrait pas céder à la fascination technologique mais maintenir une perspective socio-psychologique de l’apprentissage. L’accent devrait d’abord être mis sur les ressources individuelles et sociales pour gérer les apprentissages et ensuite sur les technologies de la formation.
La formation continue à articuler des technologies légères, voire rudimentaires, quand il s ‘agit d’apprendre par soi-même ou de soi-même, en interaction avec autrui. Par exemple, le jeu de rôles une modalité a priori faiblement technologique mais très fréquente en formation en soins infirmiers. Toutefois, le jeu de rôles présente une caractéristique partagée avec des technologies récentes ou en émergence : les étudiants apprennent « dans et par l’activité ». C’est notamment le cas des apprentissages par la simulation où le sentiment de contrôle et de compétence est particulièrement recherché chez les étudiants. Nous constatons également que la technologie de simulation qui cherche la plus grande fidélité au réel possible donne des résultats qui ne trompent personne : « Tiens, la diode bleue s’allume à la commissure des lèvres de mon patient virtuel. Il est donc cyanosé »…
Les technologies de la formation sont utiles si elles provoquent des mises en situation et si elles déclenchent de l’activité. Les apprenants doivent acquérir des heuristiques et consolider leurs schèmes, les laboratoires de fabrication ouverts au public (fablabs) sont précieux à cet égard. La socio-formation, avec laquelle nous apprenons de l’activité des autres, permettait déjà un partage raisonné de l’expérience. Ces apprentissages vicariants sont économiques puisque nous n’avons pas besoin de faire nous-mêmes toutes les expériences. La technologie y a ajouté une modélisation possible des comportements de réussite et des feed-back patients et même parfois empathiques.
Des auto-apprenants ?
Que recherchent les apprenants aujourd’hui, du moins ceux qui disposent de stratégies cognitives efficace pour apprendre en dépit des obstacles générées par une conception insuffisante ? Ils veulent mettre au service de leurs projets d’apprentissage des dispositifs de nature différente, online ou offline, des cours traditionnels en amphi ou des moocs prêts à consommer sans avoir besoin de contribuer. Ils souhaitent disposer d’outils collaboratifs et ludiques, or ils sont souvient absents des plates-formes jugées « institutionnelles et pas vraiment sexy ». Ils réclament des relations sociales collaboratives et horizontales quand ça leur chante et ils s’en débrouillent sur des réseaux sociaux protéiformes. Ils exercent leur liberté d’utiliser leurs propres instruments et les applis qu’ils maîtrisent. A ces conditions, certains sont prêts à tester d’autres technologies et d’autres dispositifs pourvu qu’on ne vienne pas les contraindre à rejoindre les « vieilles formations ».
Pour quelle obscure raison faudrait-il ramener les apprenants dans le giron de nos dispositifs conçus en dehors d’eux ? Pour mieux les « tracker » ? Question tracking pour le suivi des inscrits, les plate-formes de FOAD sont imbattables… Mais nous ne satisferons pas ainsi les besoins des apprenants. Certes, ceux-ci nous apparaissent radicalement subjectifs mais écoutons les. Les apprenants, toutes générations confondues, nous parlent de leurs besoins de se connecter en toute autonomie. Ils affirment qu’une formation réussie est une formation où ils résolvent les problèmes de manière collaborative dans le respect des autres et d’eux-mêmes, avec un formateur-facilitateur. Ils ont besoin qu’on leur fasse confiance et que les formateurs stimulent leur capacité à auto-diriger leurs apprentissages. La technologie n’arrive qu’après, comme une ressource, jamais comme une finalité.
En définitive, les technologies en formation peuvent devenir le problème. Nous réussirons en nous centrant sur le contrôle de la technologie et non sur la technologie elle-même. Les apprenants sont illogiques et quelque peu imparfaits ? Raison de plus pour les intégrer dans un processus de conception continuée. L’enjeu est de produire des technologies tolérantes aux défauts, acceptant la motivation et le chaos des stratégies personnelles de régulation de ses apprentissages.