Rendre le management bienveillant (3/3)

 

Cette série sur le management se compose de trois articles :

  1. Le monde enchanté (et ridicule) du management durable
  2. Le manager hospitalier, ce héros moderne.
  3. Rendre le management bienveillant.

et le descriptif de la formation « Management bienveillant »

 

Rendre le management bienveillant

Dans l’article précédent, j’ai critiqué sans ménagement le management durable. Reste donc à ne pas mener uniquement une entreprise de destruction mais à proposer une voie plus constructive. Si seulement, le management hospitalier pouvait évoluer vers un peu plus de bienveillance, pour ne pas dire de bientraitance

 Manager, c’est ménager

Comme souvent l’étymologie est d’un grand secours lorsque nous sommes en perdition sémantique. En effet, manager consisterait à ménager ses collaborateurs mais aussi les usagers et, pourquoi pas :  l’ensemble des bénéficiaires de l’action, directs ou indirects. Ménager ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire le ménage, mais ceci est une autre histoire…

Pourquoi faudrait-il les ménager ? Nous vivons dans des organisations où la ressource principale est humaine et symbolique avant que d’être matérielle. Celles-ci sont du genre fragile mais elles représentent l’axe stratégique du développement de nos organisations. Bien entendu, le rappeler encore et toujours est un truisme dont on ne se lasse pas ; nous devrions pourtant nous interroger sur le style de management requis pour mettre en œuvre cette pétition de principe ainsi que sur les compétences des cadres pour réussir dans ce cas de figure.

Il serait finalement assez simple de s’inscrire dans un style bureaucratique de management, alors qu’abandonner la hiérarchie stricte et la rigidité rassurante paraîtrait plus compliqué. Deux conditions, au moins, doivent être remplies pour se sentir à l’aise dans cette posture. Premièrement, le cadre doit avoir structuré, au plan cognitif, les « concepts organisateurs » qui vont orienter son action vers la bienveillance. Par quel miracle se constitueraient-ils spontanément ? Comment et dans quelles situations pouvons-nous acquérir ces dispositions éthiques et les valeurs soit-disant partagées de respect et de souci de l’autre ?

Se sentir capable de manager avec bienveillance ne suffit pas complètement ; encore faut-il disposer d’un pouvoir d’agir qui n’est pas toujours accordé par la hiérarchie et l’environnement. Ce pouvoir d’agir est à conquérir. Beaucoup de cadres ne croient plus, semble-t-il, à l’influence qu’ils pourraient exercer pour un mieux-être à l’hôpital. Alors, comment soutenir, mobiliser, entraîner, enrôler, vers l’amélioration des prestations et la qualité de l’intervention professionnelle soignante ? Comment penser le vivre-ensemble et le prendre-soin ?

Le management ne se limitera jamais à ses compétences gestionnaires parce que l’hôpital est une organisation profondément humaine. Il ne se réduira pas plus au pouvoir de coercition qu’on lui reconnaît ordinairement. Pouvons-nous concevoir un management respectueux des histoires et des compétences de ses collaborateurs ? Un management qui encouragerait à faire mieux plutôt que de sanctionner, faute d’alternative crédible ? Les comportements positifs et confiants du manager sont plus efficaces que la sanction qui déresponsabilise et provoque des comportements de retrait et de protection.  Le management est construit sur une situation de déséquilibre et de pouvoir exercé par la hiérarchie sur les subordonnés. Ces derniers sont, de fait, vulnérables, or la bienveillance envers les personnes vulnérables est un impératif éthique ; les cadres, parce qu’ils participent de la hiérarchie, connaissent cette exigence.

Pour un management bienveillant

Un management bienveillant, voire bientraitant, repose sur trois principes qui le justifient au plan théorique :

  • Les actes engagent les individus qui les produisent (Beauvais et Joule, 2002). Plus les soignants auront le sentiment de s’engager librement dans l’action,  sentiment de liberté que peut favoriser le cadre du service, et plus ils auront tendance à reproduire leurs comportements. Cet effet joue aussi sur le manager. S’il ressent qu’il s’engage librement dans une forme de management respectueux et bienveillant (i.e. sa hiérarchie a donc su créer les conditions de son orientation vers ce style de management…), il aura plus de chance de persister dans cette voie. Poser publiquement des actes significatifs aura un effet de renforcement de ses pratiques et d’engagement.
  • À la différence d’un management rigide et autoritaire, un management bienveillant suppose de mobiliser des valeurs longuement appropriées. Nous pouvons penser qu’une motivation intrinsèque est un facteur favorable au management bienveillant, le cadre n’agit vraisemblablement pas de manière bienveillante par obligation ou sous la contrainte. Or, plus les individus perçoivent leur motivation comme intrinsèque, et non extrinséque, et plus ils développent une perception aiguë de leur responsabilité (Deci et Ryan, 1985) : ils « auto-déterminent » leurs comportements.
  • Depuis Greenberg (1990) et la théorie de la justice organisationnelle, nous savons que lorsque les individus participent à la décision, quand ils sont informés et qu’ils peuvent justifier ou formuler des objections à l’égard d’un processus et plus ils développent un sentiment de justice favorable à leur implication. Notamment, le sentiment d’équité et de justice se nourrit de l’équilibre perçu entre sa contribution et la rétribution reçue en échange. Cet équilibre est calculé pour soi, à un moment donné, mais le ratio contribution / rétribution est aussi estimé pour ses collègues puis rapporté à son cas. Au vu des effets potentiellement ravageurs du sentiment d’injustice organisationnelle sur son implication, on comprendra pourquoi les cadres ont tout intérêt à paraître justes au yeux de leur collaborateurs. Si un soignant du service estime qu’il contribue beaucoup, avec une disponibilité sans égale et une excellente qualité de soins, mais qu’il se juge significativement moins rétribué que son collègue « qui en fait trois fois moins », il sera bien plus vigilant et fera tout ce qu’il peut pour éviter de revenir sur son temps de congés et remplacer les collègues manquants lorsque la direction des soins le sollicitera.

Remi Filkenstein

 Source  : Rémi Filkenstein Université de Paris 10. Laboratoire de psychologie sociale des comportements et des cognitions

Pour être perçu comme bienveillant, le manager devrait être juste, favoriser les centres d’intérêt et la motivation, et aussi rétribuer l’engagement des soignants qu’il aura su obtenir au service de l’intérêt général et du projet stratégique d’établissement.

Des outils de management ont d’ailleurs été conçus spécifiquement pour agir sur chacune de ces trois dimensions : autodétermination, engagement par les situations et justice organisationnelle. De fait, il s’agit d’opérationnaliser les deux critères qui rendent compte d’un management bienveillant : la satisfaction des soignants du service et leur adhésion à l’organisation.

La tâche des cadres est lourde dans un contexte qui provoque des tensions de tous ordres. Les soignants s’accordent généralement sur l’augmentation  des contraintes liées au travail mais peut-être encore plus liées aux changements du travail qui  mettent à mal les valeurs qui les animent.  Les considérations éthiques sont parfois peu compatibles avec les exigences quotidiennes. Mais c’est au plan des relations de travail, entre collègues, ente les soignants et le cadre, avec les représentants plus éloignés de l’institution, que l’essentiel des tensions se joue. La qualité de la relation avec son supérieur immédiat est un critère crucial pour juger de la satisfaction au travail.  Cette relation peut se détériorer d’autant plus que les objectifs sont perçus comme tout à fait irréalistes, par exemple dans le cas de fusion ou de fermeture de services, ou que les moyens sont insuffisants.

La bienveillance du management devient une urgence au vu la dégradation perçue, à tort ou à raison, par les soignants et les cadres avec eux. Des managers plus sincères, intègres et décidés à partager les orientations avec leurs équipes sont promis à un bel avenir. Du moins, nous les appelons de nos vœux…

 

Références

Greenberg, J. (1990), Employee theft as a reaction to underpayment inequity : The hidden cost of pay cuts, Journal of Applied Psychology, 75, 561-568.

Greenberg J. (1990), Organizational justice: Yesterday, today, and tomorrow, Journal of Management, 16, 399-432.Joule, R.-V. & Beauvois,  J.-L. (2002). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.

Deci, E. & Ryan, R. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. New York: Plenum.

Le site web de la théorie de l’auto-détermination 

 

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