Les formateurs en IFSI désormais titulaires d’un master (ou presque tous…)
De nombreux cadres de santé formateurs exerçant en IFSI ou dans d’autres écoles paramédicales suivent et réussissent des masters, essentiellement en sciences de l’éducation. Quels sont les effets de ces nombreux départs en formation ? Les pratiques professionnelles changent-elles lorsque ces formateurs expérimentés reviennent sur les terrains ? Ont-ils acquis des connaissances nouvelles ? Leur professionnalisation a-t-elle été impactée ? Le master a-t-il été source de développement personnel et de construction de compétences ? Assurant moi-même la coordination d’un master 2 pour ces publics (master 2 IPFA, université de Paris-Ouest Nanterre la Défense), ces questions me trottaient dans la tête lorsque j’ai répondu à la sollicitation du CEFIEC, CER 2 en Île de France, pour animer une journée de présentation des recherches.
Une journée « recherche » pour valoriser les avancées
Huit communications étaient programmées sur des sujets représentatifs de la variété des sujets traités en formation d’adultes.
Soulignons toutefois que la situation était un peu particulière. Les communicants n’avaient pas toujours eu l’occasion de valoriser leurs travaux auprès de leurs collègues et la plupart en étaient restés à leur soutenance devant le jury universitaire, or ce n’est pas vraiment la même forme de communication. L’exercice était également périlleux puisqu’il s’agissait de communiquer des résultats de recherche auprès de professionnels et non de chercheurs qui sont les premiers destinataires de ces résultats.
Parmi les sujets présentés, sept étaient situés en sciences de l’éducation et un en philosophie.
Premiers sujets, premières surprises
Suite à la réforme des études en soins infirmiers, le référentiel de formation est interrogé d’un point de vue esthétique, entre héritage et actualité. C’est inhabituel de considérer un référentiel de formation en soins infirmiers comme une sorte de design industriel.
En effet, les formes (l’ingénierie vise à créer une « forme ») sont perçues selon des points de vue différents selon que l’on est un formateur, un encadrant ou un étudiant. Ces formes représentent autant de provocations à l’action, de nouvelles modalités de réalisation et d’évaluation des dispositifs de formation. La communication mettait en exergue combien l’ingénierie pourrait être encore plus « continuée et distribuée » entre tous les partenaires et les bénéficiaires. Le design, en tant qu’outil d’aide à la conception, va-t-il encore évoluer, se transmettre entre les protagonistes pour se transformer, s’approprier, devenir un instrument partagé ? L’étudiant doit-il resté à sa « place » mais quelle est cette place dans la fabrication du design ?
En sciences de l’éducation, il n’est pas si fréquent de se centrer sur l’esthétique des dispositifs.
Le référentiel de formation, devenu un objet esthétique, renvoie à son appropriation comme une sorte de topographie que les étudiants pourraient acquérir pour s’orienter. Comme toute construction industrielle, ce référentiel pourrait-être évalué selon les trois critères de logique d’usage, d’utilisabilité, d’acceptabilité.
D’autres communications exploraient les conséquences de la réforme. L’attention s’est portée souvent sur l’encadrement des stagiaires avec une recherche des causes des dysfonctionnements. Est-ce le nouveau référentiel, dont l’ingénierie serait moins performante ? Serait-ce une cause qui dépasse les formateurs comme le contexte actuel de rationalisation des soins et de réorganisation des équipes ? Pourquoi ne pas interroger également les (in)compétences pédagogiques des encadrants, révélées à la lumière de la réforme ? Encore faudrait-il préciser sur quoi portent les lacunes supposées…
Une excellente nouvelle
Il deviendrait aujourd’hui possible de discuter de l’influence du nouveau référentiel sur l’identité professionnelle des infirmiers et les encadrants. Ce serait paradoxalement une bonne nouvelle dans une logique de professionnalisation et de reconnaissance professionnelle des stagiaires par les encadrants.
Il semble acquis pour une bonne part des communicants que l’identité professionnelle des formateurs a été impactée par la réforme et ses prescriptions favorables au développement de la compétence soignante.
L’expérience sensible des formateurs a souvent été valorisée comme facteur de changement et d’adaptation à un contexte radicalement modifié. Par exemple, le travail de distanciation du chercheur confronté à sa propre expérience, lorsqu’il est censé en rendre compte à l’aide d’un mémoire universitaire bouscule les représentations les plus ancrées, les plus solides. Faut-il faire retour sur son expérience pour se construire ? Quelle Identité « pour soi », quelle identité « pour autrui » ? L’autre est perçu comme un miroir mais que réfléchit-il ?
Les communicants nous ont appelés à ne pas prendre à la légère la fracture entre l’effort de professionnalisation des formateurs et la reconnaissance professionnelle dont ce métier dispose effectivement.
L’un des savoir-faire utile par les temps qui courent consiste à « désacraliser » le nouveau programme pour le mettre à sa main, quitte à « entrer en recherche ». La créativité apparaît comme une condition très actuelle du développement professionnel des cadres de santé formateurs.
A la recherche d’une méthode scientifique
Le master se présente comme une première initiation à la recherche et certains mémoires investissent ce terrain de l’empirie avec enthousiasme. Lorsque la problématique porte sur le cœur du métier de formateur, il est facile d’imaginer l’implication et la motivation des chercheurs novices et l’entrain avec lequel ils posent des hypothèses. La soif de connaissances est un moteur essentiel et tire vers le haut la qualité du travail accompli. Ainsi un travail très abouti a été présenté sur l’influence du formateur sur l’auto direction des apprentissages chez l’adulte.
Un vrai travail de recherche empirique a alors été conduit pour apporter des données probantes. La méthode était rigoureuse, les deux variables parfaitement identifiables. La relation entre ces deux variables était explicitée. Les résultats sont alors consistants avec un éclairage conceptuel de la notion de « posture du formateur », notion trop souvent galvaudée par le discours commun.
De communication en communication, le centre de gravité de la journée se révélait comme la photo argentique dans son bac de développement. Il ne s’agit pas tant de conforter un formateur bousculé par des réformes que de passer au crible de la réflexivité l’interaction formateur-apprenant, c’est-à-dire le fondement du métier.
Nous comprendrons aisément que l’analyse des pratiques, ou plus précisément encore « l’analyse de l’activité », est ce processus qui permettrait d’approcher sur ce qui compterait vraiment : le niveau cognitif et métacognitif de la compétence soignante. L’enjeu de la professionnalisation des formateurs dans une perspective interactionniste se déplace alors vers la capacité à faire des choix éclairés et le guidage de son propre devenir professionnel, vers une formation de qualité servie aux étudiants.
Dans un premier temps, les communications se sont centrées sur le formateur « réflexif », prenant sa propre expérience comme objet d’étude. Dans un second temps, la perspective interactionniste, entre « dispositif d’apprentissage » et « dispositions à apprendre » pousse un peu plus loin la réflexion. Sur quoi les formateurs peuvent-ils vraiment agir ? Sur leur développement professionnel ? Sur l’interaction pédagogique et l’approche didactique qui met l’activité au cœur de la didactique ? Sur les phénomènes intra psychiques, sur les processus de transfert et de contre-transfert ? Mais quels sont alors les outils disponibles et efficaces ?
Après la descente vers le cognitif, la remontée vers le métacognitif
Les communications en fin de journée allaient nous entraîner vers une psychologie positive et développementale, celle de la réussite, de la pense réflexive qui nous construit, de l’agentivité et du dépassement de soi. La problématique se faisait pointue avec le défi d’examiner les conditions par lesquelles on dépasserait l’indépassable, pour surmonter ce qui n’a pas de signification et n’en aura jamais dans le travail des formateurs ou des soignants.
Une proposition hardie nous était faite en fin d’après-midi, nous étions conviés à explorer les processus d’autorégulation et de la métacognition, processus fait d’agentivité et de présentation de soi. En effet, c’est bien le caractère métacognitif qui construit le sujet réflexif. Nous en étions à méditer autour de la prise de conscience de ses apprentissages, une prise de conscience comme un surgissement, quand l’analyse des faits de langage a fait irruption. Les pragmatistes américains, Dewey et son enquête en tête, se sont invités à la tribune. Le langage, son, analyse et ses usages en formation, apparaissait avec une grande netteté comme une voie d’accès particulièrement fructueuse pour comprendre ce que former veut dire. C’est la pensée, et sa recréation sous forme langagière, qui venait sur le devant de la scène. Les communicants ont eu ce courage d’affronter ce domaine si difficile mais si excitant du langage en formation. La métacognition et son développement chez les apprenants devenaient le centre de gravité évident de quelques fortes communications sur le sens du métier de formateur.
Après le formateur, objet subjectif d’étude pour lui-même et l’interaction formateur-apprenant, la journée évoluait tranquillement vers la figure ultime de l’apprenant. C’est ce que nous dit la communication sur l’autoformation existentielle et ses prolongements pédagogiques en formation paramédicale. Reprenant une tradition ancienne et qui a porté bien des innovations pédagogiques, le sujet était traité d’une manière assez nouvelle avec l’idée que les récits de vie non seulement améliorent l’autoformation existentielle mais aussi contribuent à augmenter l’auto efficacité des apprenants, et j’ajouterai : des formateurs…
Ici, comme souvent au cours de la journée, nous avons pu mesurer combien les bonnes intuitions en début de recherche s’accompagnent d’une rigueur méthodologique notable. Avec un tel sujet, nous aurions pu nous attendre à une démarche de type phénoménologique ou purement qualitative. En fait, le mémoire propose un plan quasi expérimental avec le suivi de deux cohortes. La variable centrale se trouve être l’accompagnement des étudiants de la rédaction de leur récit de vie. L’analyse lexicographique a été poussée au sein d’une démarche d’analyse de contenu tout à fait réussi. Il a donc été possible de retrouver les grandes caractéristiques de construction de l’agentivité chez les étudiants grâce au récit de vie : intentionnalité, auto efficacité, persistance dans les apprentissages.
Une dernière communication, la dernière surprise
Nos actes nous engagent, parfois en dépit de nos valeurs, c’est connu depuis les travaux sur la soumission librement consentie. Le dernier sujet traitait des déterminants psychologiques, environnementaux, comportementaux de l’action soignante face à la souillure des patients : « Quand l’agression répond à la régression ».
La communication avait l’immense mérite d’examiner froidement le conflit entre les valeurs et les actes chez les soignants. Quand l’éthique de conviction ne s’embarrasse pas des circonstances… Tant Vergnaud que Bandura soulignent notre lien inaliénable à l’environnement. Dès lors, comment régulons-nous nos comportements au sein d’environnements incertains ? Qu’est ce qui nous fait agir, mais surtout qu’est ce qui nous permet de contrôler nos raisonnements et nos comportements dans des environnements si conflictuels, auprès de patients dont la détresse agresse aussi radicalement les valeurs soignantes ? Comment un soignant peut-il se charger de trente-huit toilettes en une matinée ? Quel sentiment d’efficacité personnelle pourra-t-il activer pour tenir dans ces conditions si éprouvantes ?
Une journée comme un voyage
En dépit de la diversité des sujets de mémoire, le praticien réflexif, métacognitif pourrions-nous dire, c’est-à-dire ce qui construit son rapport à ses propres comportements, aux autres et à son environnement, a systématiquement traversé les travaux. Le caractère métacognitif acquis du praticien formateur ou du clinicien se joue d’abord au plan du langage, à la fois comme déclencheur et produit de la métacognition.
Il est probable que les travaux en cours et à venir vont nous faire avancer vers des méthodes nouvelles d’analyse ajustées aux secteurs qui sont les nôtres, ceux des relations de service. Le rôle éminent qui a été reconnu au langage, souligné comme facteur profondément humain et notamment lorsqu’on observe l’indicible et la maltraitance, est l’indice d’une grande qualité de réflexion des cadres de santé formateurs désormais « masterisés ».
Nombre de leurs collègues suivent la trace. Ils le font à leur manière et se fixant leurs propres objets de travail. C’est de très bon augure pour une perspective collective à bâtir de toutes pièces : les sciences infirmières en France.