Pédago ou techno ? Trop simple…

De Pedagoform au mooc #ITYPA, vers une pédagogie enrichie ?

L’article de Pédagoform « La technologie doit elle préfigurer la pédagogie ? » est à prendre au sérieux. Cette question est récurrente. Elle est vivace et robuste. Le mooc ITyPA la pose d’ailleurs à grande échelle : faut-il apprendre les technologies ou les technologies nous permettent elles d’apprendre ? Media et medium confondus ? On ne peut pas éviter de se la poser ; elle est redoutable parce que son point de vue est fort : la technologie doit elle pré-figurer la pédagogie ? Peut-elle « figurer d’avance » ? Doit-elle représenter d’avance la pédagogie ? La figure est la forme extérieure d’un corps, son apparence, sa contenance. La technologie a t elle l’apparence de la pédagogie en même temps que sa figure ? Est-elle en avance et sur quoi ?

Posée ainsi, cette question n’a évidemment pas de sens. Et pourtant… Sa petite musique est familière. J’ai lu cet article avec plaisir et curiosité parce qu’il me paraissait condenser en quelques lignes mes propres évolutions en pédagogie, mon rapport au monde de l’apprentissage et mon archéologie personnelle face aux technologies éducatives. Comme si Pedagoform réarticulait dans une perspective pleine de sens tous les événements qui m’avaient agités en pédagogie. Je pourrais dater les étapes, les ruptures et les continuités dans mes approches professionnelles de la pédagogie. Chaque paragraphe de ce texte me ramène à un moment de mon développement et à mes certitudes provisoires : la découverte de la pédagogie comme facteur de libération et d’émancipation, l’éducation populaire, les méthodes actives, les plateformes de formation à distance qui interrogent insidieusement le « juste-à-temps » pédagogique plutôt que l’éloignement, l’autoformation cognitive, mon premier site web bricolé pour déposer trois pages sur le socioconstructivisme à des étudiants que je verrai le lendemain… , la part du travail dans le développement des adultes. Bref, je n’ai jamais oublié que la parole, mais pas la conversation, est le premier instrument de la pédagogie. Le web 2.0 l’a rendue plus rapide et plus agile mais pas plus consistante.

 

Techno et pédago sont dans le même bateau

Pedagoform part de l’idée que ces deux courants de pensée et ensembles de pratiques existent de manière autonome. La techno et la pédago représenteraient des réalités disjointes, des paradigmes que l’on peut manipuler conceptuellement pour décider finalement de les opposer. Faut-il encore les opposer ? La pédagogie ne s’encombre pas des technologies : elle est une technologie, une réflexion sur les techniques, pour déclencher, instrumenter et réguler le développement humain. Tous nos artefacts sont susceptibles de faire l’objet d’une catachrèse pédagogique. Peu ont du y échapper. De ce point de vue, la pédagogie pré-figure la technologie : nous créons des artefacts pour didactiser. Et quand notre pédagogie devient moins attractive, alors nous cherchons des palliatifs technologiques, ce qui d’ailleurs ne change rien, ni au fond de l’affaire ni au fond de l’amphi.

Mais, depuis le temps que les (dites « nouvelles ») technologies ont percuté la pédagogie, je crois que nous pensons autrement. L’opposition des contraires n’est pas la seule dialectique à notre disposition, nous pouvons réfléchir à des synthèses, à des déplacements, à des simultanéités, à des concepts labiles qui nous font décaler notre point de vue et imaginer des solutions un peu différentes.

 

Alors, décalons.

Pourquoi faudrait-il en rester au formateur en prise avec les technologies ? Au pédagogue face aux outils ? A la poule et à l’œuf ? Le pédagogue à peine descendu de son estrade ne rêve que de réapparaitre sur l’écran d’ordinateur ou via le vidéo projecteur. Les technologies ne sont que des coquilles vides que le formateur peut remplir par un phénomène d’hyper extension de soi, mais les technologies sont parfois le faire-valoir du pédagogue…

La question fondamentale n’est plus « avec qui ou comment » le pédagogue travaille t-il mais « pour qui » travaille-t-il ? Les apprenants sont ils convoqués pour admirer le retour technologique du pédagogue ou poursuivre leur développement vers plus d’autonomie et d’émancipation ?

Le mooc ITYPA nous fait voir autrement la tension pédago – techno. J’aime beaucoup son caractère utopique, c’est-à-dire la croyance en la construction spontanée d’un espace heureux d’apprentissage où la collaboration généreuse pourvoirait à tout. Nous en avons suffisamment rêvé, ITYPA l’a fait.

Le mooc ITYPA ressemble à la vie. En cela, il ne représente qu’une forme particulière mais nécessaire, à un moment donné, d’institutionnalisation de nos comportements spontanés destinés à autodéterminer nos conduites d’apprentissage. La désignation sociale qu’il produit est juste indispensable pour nous faire prendre conscience de cette écologie de l’apprentissage, partout mais aussi nulle part. Dans le mooc, l’apprenant c’est le formateur, manière de dire que la pédagogie a disparue et que pour apprendre il suffit d’être connecté. Illusion d’optique… Se connecter demande des apprentissages de haut niveau, culturellement et économiquement déterminés. Quant au millier de participants, je gage qu’ils ont déjà largement une pratique de la pédagogie et des technologies éducatives. On n’arrive pas au mooc par hasard, il faut être initié et être en veille. Faire disparaitre la pédagogie n’est pas le moindre des paradoxes des pédagogues.

 

Une pyramide plutôt qu’un triangle

Notre conception de la pédagogie ne devrait pas se structurer selon deux pôles uniques. Le premier serait celui du pédagogue, sans apprenant, face à la technologie : « la technologie préfigure t-elle la pédagogie ? ». Le deuxième, très mooc, est celui de l’apprenant, sans pédagogue, face à la technologie : « Comment apprendre avec ITYPA ? ».

Je crois utile d’élargir notre champ de vision. La pédagogie et la techno, certes !, mais jamais sans l’apprenant. L’apprenant, oui, mais jamais sans le pédagogue. Nous avons juste le choix du pédagogue et de son usage. Nous sommes tous immergés dans un environnement technologique qui offre des opportunités, les usages nous appartiennent. Nous pouvons toujours raisonner au plus près des contingences matérielles et technologiques mais l’éthique du pédagogue doit ramener l’apprenant dans le jeu. La finalité, c’est le développement de l’apprenant, dans le sens qui lui conviendra, pas la prestation pédagogique ou technologique.

Il nous faut donc imaginer une espace à trois dimensions : le pédagogue qui agit, un environnement qui favorise la technophilie et un apprenant qui fait usage d’agentivité pour conduire ses apprentissages. Et tant qu’à faire, projetons-nous dans un monde connecté fait de plusieurs espace-temps où des communautés d’apprenants rencontrent éventuellement des pédagogues qui ne se ressemblent pas tous.

Un schéma pyramidal de l’apprentissage montre que chacun des axes existe en lui-même et pour lui-même. Le pédagogue technophile se débrouille très bien sans apprenant et sans apprentissages. Des apprentissages émergent sans pédagogue, simplement par la confrontation à l’environnement technologique. Un apprenant peut très bien apprendre sans pédagogue et sans technologie. Ceci dit, une pyramide est constituée d’arêtes reliées aux sommets. Des ressources pédagogiques sélectionnées par le pédagogue peuvent nourrir les apprentissages et favoriser le développement de l’apprenant.

Il s’agit aussi d’une utopie, mais comme elle est plus complexe que les deux premières, elle est plus mobilisatrice. Comme le rappelaient les regrettés philosophes de l’éducation qu’étaient les Shadocks : « En essayant continuellement on finit par réussir. Donc, plus ça rate, plus on a de chances que ça marche ».

12 réflexions sur « Pédago ou techno ? Trop simple… »

  1. laboinnopédago / samdrine

    Bonjour. Il me semble que cette piramide crée un pole pour un acteur nouveau du réseau des acteurs. mais l’apprenant lui meme ne fait il pas partie de ce réseau? en quoi cet outil techno est il différent des acteurs du groupe classe?
    Je propose une autre pyramide, celle de la classe en réseau et une pyramide augmentée qui tient compte des savoirs en réseau (données et métadonnées) des enseignants en réseau (ITYPA) des apprenants en réseau (blogs, twitter etc).. Voir mon article là… http://blogue.jogtheweb.com/wp-content/uploads/2011/06/Proposition-de-mod%C3%A9lisation-du-plaisir-dans-les-apprentissages.pdf

    Répondre
    1. Marc Nagels Auteur de l’article

      Au moins, j’ai l’adresse de ton article !
      « La caractéristique des plaisirs reliés à l’apprentissage est qu’ils sont chargés de cette intentionnalité du « devenir » de faire de soi-même un autre. » Bien vu !
      Marc

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  5. PEDAGOFORM

    Tout d’abord
    1) un grand merci d’avoir apporté continuité et contribution au billet « La pédagogie doit-elle préfigurer la pédagogie ? »… et le moins que l’on puisse avouer est que les différentes contributions sont aussi denses que riches, ce qui est plutôt à louer.. depuis l’arche O pédagogue jusqu’à cette conception pyramidale.
    2) un grand pardon pour ma réaction tardive sur ton/votre blog… tellement le temps me manque…

    Effectivement, opposer pédago et techno est simple, trés simple… trop simple… l’intitulé du billet visait précisément à pouvoir interpeller et faire réagir … car j’ai été, dans mon expérience, trop souvent spectatrice d’intervenants friands de technologies obérant toute pédagogie, usant et abusant de l’esprit de candeur du nouvel apprenant découvrant lui-même les nouvelles technologies.

    Techno et pédago sont effectivement « dans le même bateau » et j’acquiesce complètement lorsque tu/vous écris finement « Mais, depuis le temps que les (dites « nouvelles ») technologies ont percuté la pédagogie, je crois que nous pensons autrement. L’opposition des contraires n’est pas la seule dialectique à notre disposition, nous pouvons réfléchir à des synthèses, à des déplacements, à des simultanéités, à des concepts labiles qui nous font décaler notre point de vue et imaginer des solutions un peu différentes. ».

    Du coup, à côté de l’image de la pyramide, j’aimerais apporté l’image de la « plasticité » pédagogique. J’ai eu à peine le temps d’entrevoir cette image jadis à travers une petite ornière, dans un précédent billet PedagoForm
    …. de la plasticité pédagogique à l’agilité cognitive… peut-être une autre idée à approfondir et creuser pour le suivi de nos échanges….

    … car je conclus bien entendu avec toi/vous  » La finalité, c’est le développement de l’apprenant, dans le sens qui lui conviendra, pas la prestation pédagogique ou technologique. ».

    En aparté
    – j’aime beaucoup l’appréciation que tu/vous portes au MOOC ITYPA en tant qu’espace utopique de l’apprentissage heureux
    -merci à samdrine au sujet de son article sur le plaisir dans les apprentissages
    que j’ai beaucoup beaucoup apprécié
    – un salut aux riches envolées de JmJF, créateur de l’Arche

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  6. Marc Nagels Auteur de l’article

    Merci à tous ! Que ces échanges sont agréables et stimulants !
    Il va falloir réfléchir à la « plasticité pédagogique » et peut-être même à l’idée connexe de « résilience pédagogique »… Belle perspective.
    Marc

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